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Moins connu que Rabearivelo ou Rabemananjara, Flavien RANAIVO naquit a Arivonimamo, le 13 mai 1914, au coeur du pays d'Imerina, d'un pere qui fut, pendant quelques annees, gouverneur d'Arivonimamo. Il a passe son enfance, comme il l'ecrit lui-meme, "a Tananarive et dans sa banlieue, entre les hautes murailles de laterite, sous les arceaux des manguiers, a travers les sentiers accroches aux pentes abruptes, qu'abritent mal les lilas de Perse de leurs branches nues elevees vers le ciel comme pour implorer des dieux invisibles". Il apprit la musique avant l'alphabet et n'alla pas a l'ecole avant  l'age de huit ans.

 

"RANAIVO se libera des influences francaises, plutot que de les assimiler.  Plus qu'une decouverte de la poesie malgache, il y a chez lui, retour aux sources; approfondissement  plus qu'enrichissement de sa personnalite. Ce n'est pas aux sources royales que revient RANAIVO, comme RABEMANANJARA, mais a la veine populaire des hainteny, qui avait si heureusement muri le talent de RABEARIVELO.
Son style est a la fois plus original et plus authentiquement madecasse. C'est le style des hain-teny, ou tous les mots inutiles, singulierement les mots-outils, sont supprimes, un style dense de "temps forts" fait d'antitheses, de parallelismes et de dissymetries, surtout d'inversions, d'ellipses et de syllepses. Mais le poete a assimile la pensee et la technique francaises. D'ou des poesies d'un souffle plus ample que celui des hainteny, d'une pensee et d'une emotion plus irradiantes bien que les themes et la jaillissantes imagerie restent madecasse."
(SENGHOR, Leopold Sedar: "Anthologie de la nouvelle poesie negre et malgache de langue francaise", Quadrige/ PUF, 2eme edition, 1992.)


Choix | Contre-Chant | Hotes | Chant pour deux valiha | Il est des baisers | Vulgaire chanson d'amant | Vieux theme merina | Epithalame (traduction d'un kabarim-panambadiana)| Regrets | Secret

Choix 

- Quelle est celle qui fait claquer ses pas sur la terre ferme?

- C'est la fille du nouveau chef de mille

- Si c'est la fille du chef de mille,

dites lui que tombera bientot la nuit

et que je troquerai des amours corallines contre un soupcon d'amitie

- Quelle est celle qui vient du nord?

- C'est la soeur de la veuve au parfum de jamerose

- Dites lui d'entrer sans retard,

je lui preparerai une franche lippee.

- Elle n'en goutera point, que je sache:

elle ne prend qu'eau de riz,

non parce qu'elle a soif

mais caprice a votre egard.
 
 

Contre-chant

- Quelle est celle qui fait claquer ses pas sur la terre ferme?

- C'est la fille du nouveau chef de mille

- Si c'est la fille du chef de mille,

dites lui que tombera bientot la nuit

et que je troquerai des amours corallines contre un soupcon d'amitie

- Quelle est celle qui vient du nord?

- C'est la soeur de la veuve au parfum de jamerose

- Dites lui d'entrer sans retard,

je lui preparerai une franche lippee.

- Elle n'en goutera point, que je sache:

elle ne prend qu'eau de riz,

non parce qu'elle a soif

mais caprice a votre egard.

Ne m'offrez pas de l'amour-a-grands-bruits,

car je vous en rendrais un tout minuscule.

Si vous suivez le sentier tortueux,

je remonterai le cours-d'eau-aix detours-tout-en-angles.

Ne soyez orgueilleuse d'un chale a grand'largeur,

ne prenez l'importance de celle-qui-herite-d'un-lopin-de-terre

car ne serai un vaincu

quand bien meme vous me repousseriez.

Germe rapidement la citrouille,

mais elle vrille au bout d'un empan.

Ne vous parez devant moi d'un chale de fierte:

je suis la glace biseautee

qui rendrai replique egale;

ne vous couvrez non plus d'un chale bigarree

car puissante est la nuit;

elle ternit jusqu'aux brillants tissus de soie.

Ne m'invitez pas chez vous

pour me laisser debout

a demi adosse au chambranle d'entree:

le seuil a franchir,

et je retrouverai une proche parente.
 
 

Hotes

- Quelle est celle qui fait claquer ses pas sur la terre ferme?

- C'est la fille du nouveau chef de mille

- Si c'est la fille du chef de mille,

dites lui que tombera bientot la nuit

et que je troquerai des amours corallines contre un soupcon d'amitie

- Quelle est celle qui vient du nord?

- C'est la soeur de la veuve au parfum de jamerose

- Dites lui d'entrer sans retard,

je lui preparerai une franche lippee.

- Elle n'en goutera point, que je sache:

elle ne prend qu'eau de riz,

non parce qu'elle a soif

mais caprice a votre egard.

-Puis-je entrer, Homme-aux-pensees-d'ambre?

- Que je meure avant vous, o Parcelle-de-ma vie:

debordera le lac que je tiendrai au sec votre place a mes cotes.

-Point n'est mon intention.

Le joueur de valiha contemple le grand ciel d'ete;

voit-il oiseau qui passe:

"J'en ferai mets qui flatte le gout."

- Les vains propos, o Princesse-des-idees-noires,

seuls deroutent les ames en peine.

-Fut-il jacent, je ne convoite nul tissuu des parfums.

- Ne le dedaignez pas non plus : se parfile un tissu.

- Ne voudrais m'enliser

comme engame un poisson.

Pauvre fleuron de reves blancs :

cinq fois vous avez effeuillE la patience,

cinq fois vous avez perdu.

Chant pour Deux Valiha 
(dedie a Leopold Sedar Senghor)
Voici venir la nuit,
 la nuit de la forêt:
comment t'abriteras-tu
de ses tracasseries?
E éniah o é éniah é:
Ansi dansent les ingénus
Je planterai ma hutte
au sommet de la colline,
la colline inviolée
par la nuit de la forêt
E éniah o, é éniah é:
Ainsi dansent les ingénus.
Perverses violâtres,
des chauves-souris
pendillent aux branches de la nuit,
la nuit de la forêt.
E éniah o,é éniah é
Ainsi dansent les ingénus.
Passagères les transes,
et dès demain matin
le hâle fanera
les chansons éclatantes.
E éniah o é éniah é
Ainsi dansent les ingénus.
 

Il est des baisers 
Il est des baisers longs, comme celui premier au creux du rocher ;
 des baisers legers, ceux que je happe aux levres trop tot colorees,
au sortir d'une etreinte ;
 des baisers furtifs, comme celui des separations ;
 des baisers profonds, comme ceux que l'on prend paisiblement ;
 des baisers suaves, ceux que l'on echange dans la serenite ;
 des baisers d'oiseaux ceux de la symbiose ;
 des baisers doux, ceux de la coupe-aux-litchis ;
 des baisers tristes, ceux des moments de chagrins ;
 des baisers de delire, ceux que l'on donne en tremblant ;
 des baisers du paradis, lorsque tes mains caressent mon visage
 et s'egarent dans mes cheveux bleus ;
 mais il est un baiser de reve : la reconciliation.
 

Vulgaire chanson d'amant 
Ne m'aimez pas, ma parente,
comme votre ombre
car l'ombre au soir s'évanouit
et je dois vous garder
jusqu'au chant du coq;
ni comme le piment
qui donne chaud au ventre
car je ne pourrais alors
en prendre à ma faim;
ni comme l'oreiller,
car on serait ensemble aux heures du  sommeil
mais on ne se verrait guère le jour;
ni comme le riz,
car sitôt avalé vous n'y penseriez plus;
ni comme les douces paroles
car elles s'évaporent;
ni comme le miel,
bien doux mais trop commun.
Aimez-moi comme un beau rêve,
votre vie la nuit,
mon espoir le jour,
comme une pièce d'argent,
sur terre ne m'en sépare,
et pour le grand voyage
fidèle compagne;
comme la calebasse,
intacte sert à puiser l'eau,
en morceaux, chevalets pour valiha.


Vieux theme merina
Germent les plantes
Poussees par les racines, et je viens jusqu’a vous pousse par mon amour.
Aux cimes des grands arbres, cherie
L’oiseau termine son vol :
Mes courses ne s’achevent que ne sois pres de vous.
Trebuchent, trebuchent les eaux de Farahantsana, cheri
Sans se faire d’entorses;
Elles tombent, elles tombent sans se briser.
Mon amour pour vous , cherie,
Ressemble a de l’eau sur la greve:
J’attends qu’elle tarisse, il en vient davantage.
Deux amours ont grandi ensemble,
Car deux amours jumelles:
Malheur au premier qui trahit.
Adieu, cheri, adieu:
L’amour insense trompe l’oeil,
L’amour  indecis rend fou.
Car l’amour insense
Est comme le brouillard de l’etang,
Il abonde mais ne se prend en main.
Car le brouillard de l’etang, cheri,
Frole puis s’enfuit
L’avoka, lui, se fixe a la lisiere des champs.
Poussin happe par le papango, cherie,
Le voila haut place qu’il devient solitaire,
Le voila dans le ciel qu’il est loin de son amour.
Nostalgie matinale engourdit;
Nostalgie, le jour, fatigue;
Nostalgie vesperale delicieuse,
Cheri, est-ce la la votre?
Notre parente, cherie, 
Un grain de sable dans l’oeil:
Bien petit mais qui nous etourdit.
Notre parente, cherie,
De la vase amassee peu a peu,
Qui grande maison en briques devient.
Hatez, hatez donc
Vos pas, cherie,
De peur que la nuit ne vous surprenne.
Rompues mes jambes,
Mes yeux voient trouble,
Et dites a ceux de la-bas que je n’en peux plus, cheri
La penombre a beau couvrir la terre
Mon coeur est sous un eternel clair de lune
Venez donc a mes cotes.
L’on me grondera chez moi,
Ma soeur ainee ne veut pas que j’aille avec vous,
Et puis a moi, cela ne me dit rien.
J’aime bien, mais ne peux rien,
J’aime assez, mais j’ai peur…
Je viendrai, mais accompagnez-moi, cheri.
La porte est close, cheri
Vous arrivez trop tard, mon amour,
L’on me grondera chez moi.
Ouvrez-moi, je vous ferai des confidences,
Ouvrez-moi que nous parlions ensemble,
Ouvrez-moi : je vous aime.
Close est la porte, cheri;
Mais mon coeur est ouvert.
Entrez donc, mon parent : je vous aime.
La porte est-elle en zozoro, cherie
Que vous la fermiez a cle?
Ouvrez-moi , car je suis las d’attendre.

Epithalame (traduction d'un kabarim-panambadiana) 
Un petit mot, Monsieur,un petit conseil, Madame.
Je ne suis pas celui-qui-vient souvent comme une cuiller de faible capacite,
ni celui-qui-parle-a-longueur de journee comme un mauvais ruisseau a travers la rocaille,
je suis celui-qui-parle-par-amour-pour-son-prochain.
Je ne suis point la pirogue-effilee-qui-derive-sur-l'eau-tranquille,
ni la citrouille-qui-se-trace-un-dessin-sur-le-ventre,
et je ne suis a meme de fabriquer une grande soubique,
je suis toutefois capable d'en faire une petite.
Epi et homme sont ressemblants:
l'un l'autre, a sa facon, produit:
le premier des grains, le second des idees.
Je ne suis pas celui-qui-danse-sans-etre-invite,
ni le-celibataire-qui-donne-des-conseils-aux-gens-maries,
car je ne suis pareil a l'aveugle qui voit pour autrui.
Vous n'etes point sots que l'on sermonne,
vous etes de noble descendance,
vous etes les voara au feuillage touffu,
les nenuphars parures de l'etang.
Vous etes les-deux-amours-nees-un-jour-faste,
personne ne s'est occupe de vous.
Vos amours ne sont point larmes-provoquees-par-fumee,
ni raisins-verts-ramollis-par-doigt-d'enfant.
Tenez a l'amour comme a vos propres prunelles.
L'avoko fleurira-t-il trois fois dans l'annee,
la lune aura-t-elle douze phases dans le mois?
Que vos amours ne s'en ressentent point.
Doux l'amour lorsqu'il ressemble a du coton:
souple et moelleux et jamais ne se brise.
Eau de greve:jamais ne tarit.
Sentier: frequentez-le souvent, il paraitra plus vivant.
Ne soyez pas comme le rocher et le caillou:
l'enorme reste muet, le petit ne grandit.
Les boeufs sauvages se dressent,
mais ne se cache l'amour.
Les patates ne se pilent:
cuites telles quelles, elles sont deja tendres.
L'amour est la corde humide qui enlace le mariage.
Ainsi, faites comme les arbres d'Ambohimiangara:
fruits eternels, branches souples.
Le conjoint comme le sel:
en grains il n'entame les dents, en poudre il rehausse la viande.
Seriez-vous fatigues?Couchez-vous sur le cote.
Seriez-vous ankyloses?Mettez-vous au soleil.
Coup de bambou?Marchez sous le ravenala.
Les pots en terre d'Amboanjobe se cachent au bout d'une semaine,
le mariage, lui, est comme la chair, la mort seule la separe de l'os.
Occasions de querelle:autant que ce sable.
Un conseil:
ne soyez pas comme le petit chien battu par un fou
et qui crie sa douleur a tous les environs:
les scenes de menage ne se divulguent pas.
Toute chose a sa raison d'etre;
montagne: refuge des brouillards,
vallee: abri des mostiques,
bras d'eau: repaire des caimans;
l'homme, lui, est sanctuaire de la raison.
Vous, jeune homme,ne soyez pas l'homme-repute-courageux
et qui a peur de passer la nuit tout seul dans le desert.
Desagreable la vie en poulailler:
le coq chante tandis que la poule caquette.
Si la corde est tendue, ne tirez davantage.
Ne suivez pas les conseils de Colere,
sitot executes ils deviennet regrets.
Fruits verts, ne les recoltez pas,
ils vous rendront malades.
L'emportement ne peut porter bien loin;
les rales s'arretent a la hauteur du nez.
Le pire des malheurs:larmes.
Discorde: furoncle au front, depare le visage, douloureux par surcroit.
Ne convoitez pas la coiffure qui sied a la voisine.
Peche a la nasse:ne raclez trop profond, vous aurez de la vase;
desir demesure vous donnera maladie.
De la sagesse faites un lamba:
vous vous en couvrez si vivez,
si mourez, un linceul.
Ne soyez pas comme les chats:
friand de poisson, ils detestent la nage.
Le travail est l'ami des vivants.
Travaillez donc, travaillez,
les pauvres sont des charges pour l'humanite.
Seriez-vous beau, mais besogneux:
parlez, on vous ecoute,
en chemin vous marcherez derriere les autres.
Car l'enfant qui ne veut travailler:
dans un verger, maraudeur;
dans la ville, quemandeur;
a la maison, de trop.
Le travail, mes amis, seul fait l'homme.
Que la femme toute la journee durant,
au metier s'accroupisse,
que l'homme soit dans les champs du lever au coucher du soleil;
si procedez ainsi, et que Fortune n'apparaisse,
ne vous desolez point,
le Seigneur-Parfume vous viendra en aide.

Regrets 
Six routes
partent du pied de l'arbre-voyageur:
la premiere conduit au village-de-l'oubli,
la seconde est un cul-de-sac,
la troisieme n'est pas la bonne,
la quatrieme a vu passer la chere-aimee
mais n'a pas garde la trace de ses pas,
la cinquieme
est pour celui-que-mord-le-regret,
et la derniere...
je ne sais si praticable.

 
 

Secret 
A l’enfant delaisse par ses amis je ressemble:
Seul a jouer au sable.
Mais n’ai pas encore perdu la tramontane
Pour donner tort a celle-qui-rentre-chez-elle.
Non loin d’ici
Il est une riziere aux epis en devenir:
Cuit a grande eau le grain sera succulent,
A la vapeur il sentira bien bon.
Prenez cela,
Ce sera rappeler le gout du temps emmielle,
Prenez ceci,
Un parfum de l’absente.
Eh! Oui, ma parente,
J’apprends qu’un autre vous a seduite :
J’en suis a ne pouvoir avaler une seule gorgee d’eau.
 
 
 
 
 
 
 

Flavien RANAIVO, "Mes Chansons de toujours"

Suggestions et commentaires bienvenus : mialy@hotmail.com

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