| Trano Fandraisana | Hainteny Malagasy Les Femmes | La Religion | Le Repas et l'Amour chez les Merinas | Le Role Social des Hainteny | Le Jaka | L'Alin-dratsy | Peta-drindrina | Voir le Livre d'Or | Signer le Livre d'Or | Mialy |

Le sentiment religieux

Extraits de "Chez les Hova", Jean CAROL

eplait pas a un ancetre si l’on s’est mal conduit, mais on s’attire son courroux si on le neglige. Vous voyezue ce culte n’a rien de vraiment religieux."
Sur la mefiance | Sur le culte des ancetres | Sur la presence du christianisme en 1898


Sur la mefiance :
"Une nouvelle absurde sera infailliblement accueillie a la ville comme a la campagne .Accueillie sans controle et propagee de case en case avec rapidite, sans bruit, sans mouvement inaccoutume, sans apparente emotion.
Toutefois les inventions des colporteurs de racontars n’obtiendront de credits que si elles sont pessimistes. Le Houve croit toujours au malheur, jamais a la bonne fortune promise, s’il lui echoit un avantage manifeste, il a peur de s’en rejouir. Plus de bien n’est pour lui que l’avant-coureur de plus de mal.
A cela il y a d’autres causes que sa mefiance chevillee aux moelles. Il y a d’abord la raison historique, que j’ai mise en lumiere et dont on oublie presque toujours de tenir compte quand on juge ce pauvre peuple, si peu gate par le Destin ! Mais il y en a une autre, d’une psychologie profonde : c’est qu’on ne saurait etre optimiste en aucun ordre d’idees lorsqu’on a l’ame aussi tournee au positivisme que l’a le Houve. Cette ame semble refractaire a la conception de tout ideal, dans le sens vague mais genralement accepte que nous donnons a ce mot. Peut-etre a-t-il le sien, d’ideal, mais il nous echappe et certainement n’a aucun rapport avec nos ordinaires aspirations vers l’au-dela du possible et du reel. Presque tous les civilises eprouvent, au moins a un moment de leur vie, le besoin de plier le genou devan un etre intangible, plus puissant et, sinon absolument meilleur, du moins plus juste que les hommes ; les sauvages sont fetichistes : le Houve ne voit pas pourquoi il adorerait quelque chose ou quelqu’un. C’est la sans doute sa plus grande originalite."

Sur le culte des ancetres :
"On a qualifie de religieux son culte pour les ancetres : en realite, ce culte n’a pas sur lui les effets essentiels d’une religion. A toute croyance religieuse vient s’appuyer une morale parallele, souvent superieure a l’observation de pratiques devotes, et c’est par ce chemin que l’on gagne les biens de la vie ulterieure, quel que soit le genre de paradis promis. Le bouddhisme enseigne a ses adeptes de meriter par leurs vertus la supreme felicite du repos dans le neant : le Houve se tient pour affranchi de tous les devoirs quand il a rendu a ses ancetres les vains hommages de sa piete. L’ancetre qu’il invoque, avec qui il communique a travers le mur de la tombe, ne lui conseille point de vivre en honnete homme, de respecter le bien d’autrui, d’etre charitable, consciencieux, loyal dans ses actes et dans ses paroles. Il ne le  menace d’aucune sanction future. Voici ce que dit l’ancetre : "Honore ma memoire, viens  me retourner tous les ans sur le lit de pierre ou je sommeille et enveloppe moi d’un lamba neuf, - moyennant quoi je te protegerai dans toutes tes entreprises.”
On ne deplait pas a un ancetre si l’on s’est mal conduit, mais on s’attire son courroux si on le neglige. Vous voyez que ce culte n’a rien de vraiment religieux. Il est entoure de superstitions pueriles, de sorciers, de revenants, de diseurs de bonne aventure, de jeteurs de malefice; mais de cette complication ne se degage aucune croyance superieure, aucune aspiration vers l’infini et le divin.le Houve n’eprouve pas ces besoins la. Il se passe d’Andriamanitre (Dieu) aussi aisement qu’un philosophe de l’ecole d’Auguste Comte. Il n’en attend rien. C’est pour cela qu’il ne se donne pas la peine de blasphemer. Il imagine assez volontiers qu’Andriamanitre est le createur du monde; mais il n’est pas eloigne de partager cette opinion exprimee par le pieux Lamartine en un jour de fureur lyrique, que Dieu, apres avoir fait notre boule, la lanca d’un coup de pied dans l’espace et cessa de s’en occuper. Aussi quand le Houve prononce le nom du “Seigneur Parfume”, est-ce avec le sourire qu’on doit aux puissances problematiques, sans contact eprouve pour les realites humaines."

Sur la presence du Christianisme en 1898 :
"Et le Houve n’est pas, comme certains d’entre nous, arrive a ce scepticisme : il y est ne, il y mourra.(…)
En vain a-t-il ete entrepris par le christianisme. En vain chantera-t-il dans ses temples, les prieres de la religion romaine ou les cantiques du culte reforme : a la suite d’autres aveux recueillis de la bouche des interesses, j’affirme de nouveau que les missionnaires et pasteurs ne se font eux-memes aucune illusion sur le degre de penetration ou leur enseignement moral est parvenu. Il y a a Tananarive des soeurs, qui la comme partout, exercent leur sublime apostolat. Demandez-leur, si elles peuvent empecher les petites filles qu’elles enseignent d’aller retrouver, en sortant de la classe, le vazaha qui les attend? ”Helas, on n’y pourra rien”, vous declarent-elles.(…)
De notre enseignement scientifique, de nos doctrines positives, ils retiendront tout : de nos speculations mystiques, de nos reves, ils ne prendront rien. L’etiquette de chretien leur parait si vaine qu’ils dedaignent de s’en servir comme d’un  supplement de ressources pour leurs hypocrisies familieres. Le plus assidu a l’eglise ne s’interdira point de se moquer des mompera (…), ni de rire de leurs “histoires”. Le Houve ne croit pas, ne croira sans doute jamais. Les moralistes contemporains nous ont fait le tableau de ce que serait une societe sans Dieu. Ils ont beaucoup exagere , car en somme, Dieu parti, les gendarmes restent. S’ils veulent mettre les choses au point, ils n’ont qu’a venir sur le plateau Central de Madagascar.”
 

Jean CAROL, "Chez les Hova", Editions Offenheimer, 1898

Commentaires et suggestions bienvenus : mialy@hotmail.com


1