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Sur la mefiance :
"Une nouvelle absurde sera infailliblement accueillie a la ville comme
a la campagne .Accueillie sans controle et propagee de case en case avec
rapidite, sans bruit, sans mouvement inaccoutume, sans apparente emotion.
Toutefois les inventions des colporteurs de racontars n’obtiendront
de credits que si elles sont pessimistes. Le Houve croit toujours au malheur,
jamais a la bonne fortune promise, s’il lui echoit un avantage manifeste,
il a peur de s’en rejouir. Plus de bien n’est pour lui que l’avant-coureur
de plus de mal.
A cela il y a d’autres causes que sa mefiance chevillee aux moelles.
Il y a d’abord la raison historique, que j’ai mise en lumiere et dont on
oublie presque toujours de tenir compte quand on juge ce pauvre peuple,
si peu gate par le Destin ! Mais il y en a une autre, d’une psychologie
profonde : c’est qu’on ne saurait etre optimiste en aucun ordre d’idees
lorsqu’on a l’ame aussi tournee au positivisme que l’a le Houve. Cette
ame semble refractaire a la conception de tout ideal, dans le sens vague
mais genralement accepte que nous donnons a ce mot. Peut-etre a-t-il le
sien, d’ideal, mais il nous echappe et certainement n’a aucun rapport avec
nos ordinaires aspirations vers l’au-dela du possible et du reel. Presque
tous les civilises eprouvent, au moins a un moment de leur vie, le besoin
de plier le genou devan un etre intangible, plus puissant et, sinon absolument
meilleur, du moins plus juste que les hommes ; les sauvages sont fetichistes
: le Houve ne voit pas pourquoi il adorerait quelque chose ou quelqu’un.
C’est la sans doute sa plus grande originalite."
Sur le culte des ancetres :
"On a qualifie de religieux son culte pour les ancetres : en realite,
ce culte n’a pas sur lui les effets essentiels d’une religion. A toute
croyance religieuse vient s’appuyer une morale parallele, souvent superieure
a l’observation de pratiques devotes, et c’est par ce chemin que l’on gagne
les biens de la vie ulterieure, quel que soit le genre de paradis promis.
Le bouddhisme enseigne a ses adeptes de meriter par leurs vertus la supreme
felicite du repos dans le neant : le Houve se tient pour affranchi de tous
les devoirs quand il a rendu a ses ancetres les vains hommages de sa piete.
L’ancetre qu’il invoque, avec qui il communique a travers le mur de la
tombe, ne lui conseille point de vivre en honnete homme, de respecter le
bien d’autrui, d’etre charitable, consciencieux, loyal dans ses actes et
dans ses paroles. Il ne le menace d’aucune sanction future. Voici
ce que dit l’ancetre : "Honore ma memoire, viens me retourner tous
les ans sur le lit de pierre ou je sommeille et enveloppe moi d’un lamba
neuf, - moyennant quoi je te protegerai dans toutes tes entreprises.”
On ne deplait pas a un ancetre si l’on s’est mal conduit, mais on s’attire
son courroux si on le neglige. Vous voyez que ce culte n’a rien de vraiment
religieux. Il est entoure de superstitions pueriles, de sorciers, de revenants,
de diseurs de bonne aventure, de jeteurs de malefice; mais de cette complication
ne se degage aucune croyance superieure, aucune aspiration vers l’infini
et le divin.le Houve n’eprouve pas ces besoins la. Il se passe d’Andriamanitre
(Dieu) aussi aisement qu’un philosophe de l’ecole d’Auguste Comte. Il n’en
attend rien. C’est pour cela qu’il ne se donne pas la peine de blasphemer.
Il imagine assez volontiers qu’Andriamanitre est le createur du monde;
mais il n’est pas eloigne de partager cette opinion exprimee par le pieux
Lamartine en un jour de fureur lyrique, que Dieu, apres avoir fait notre
boule, la lanca d’un coup de pied dans l’espace et cessa de s’en occuper.
Aussi quand le Houve prononce le nom du “Seigneur Parfume”, est-ce avec
le sourire qu’on doit aux puissances problematiques, sans contact eprouve
pour les realites humaines."
Sur la presence du Christianisme en 1898 :
"Et le Houve n’est pas, comme certains d’entre nous, arrive a ce scepticisme
: il y est ne, il y mourra.(…)
En vain a-t-il ete entrepris par le christianisme. En vain chantera-t-il
dans ses temples, les prieres de la religion romaine ou les cantiques du
culte reforme : a la suite d’autres aveux recueillis de la bouche des interesses,
j’affirme de nouveau que les missionnaires et pasteurs ne se font eux-memes
aucune illusion sur le degre de penetration ou leur enseignement moral
est parvenu. Il y a a Tananarive des soeurs, qui la comme partout, exercent
leur sublime apostolat. Demandez-leur, si elles peuvent empecher les petites
filles qu’elles enseignent d’aller retrouver, en sortant de la classe,
le vazaha qui les attend? ”Helas, on n’y pourra rien”, vous declarent-elles.(…)
De notre enseignement scientifique, de nos doctrines positives, ils
retiendront tout : de nos speculations mystiques, de nos reves, ils ne
prendront rien. L’etiquette de chretien leur parait si vaine qu’ils dedaignent
de s’en servir comme d’un supplement de ressources pour leurs hypocrisies
familieres. Le plus assidu a l’eglise ne s’interdira point de se moquer
des mompera (…), ni de rire de leurs “histoires”. Le Houve ne croit pas,
ne croira sans doute jamais. Les moralistes contemporains nous ont fait
le tableau de ce que serait une societe sans Dieu. Ils ont beaucoup exagere
, car en somme, Dieu parti, les gendarmes restent. S’ils veulent mettre
les choses au point, ils n’ont qu’a venir sur le plateau Central de Madagascar.”