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Jean PAULHAN
Sur les croyances | Sur le repas et le mariage | Sur le choix d'une epouse et la notion de virginite
Sur les croyances :
Du peuple qui habite l’Emyrne, au centre de Madagascar, les Hovas ne furent
qu’une caste, sorte de bourgeois enrichis. Au-dessus d’eux il y eut les Andriana,
descendants des premiers rois; au-dessous, les Andevo esclaves. Ils s’appelaient
tous, d’un nom commun, les Merinas. Et peut-etre, il y a tres longtemps, etaient-ils
venus de Malaisie.
Nous connaissons leur histoire depuis environ deux siecles. Les Merinas s’y
montrent doux, intelligents, et peureux. Ils eurent quelques idoles et penserent
qu’un esprit, un dieu parfume planait au-dessus d’eux : ils ne l’adorerent pas.
Leurs rois vainquirent les Malgaches voisins par la malice de leurs raisonnements
et parfois par la guerre. Quand ils parlaient, le peuple entier, couvert de
manteaux d’etoffe blanche ou violette, se reunissait en silence autour d’eux.
(...) Ces coutumes et ces idees furent longtemps puissantes chez eux : on leur
obeit encore scrupuleusement dans quelques vieilles familles, quand les fils
ne sont devenus ni pasteurs, ni employes de bureau. Car les Merinas ne savent
defendre leurs moeurs et leurs croyances, ni contre les missionnaires, ni contre
le gouvernement francais. Sans doute n’etaient-ils pas assez convaincus; leur
sagesse ancienne, leur civilisation, on ne la connaitra bientot plus que par
leurs proverbes et leurs contes.
Sur le repas et le mariage:
"Il y a en Europe un sentiment bien caracteristique de l’amour. C’est
la pudeur. Et nous avons vu qu’ici encore la pudeur n’existait guere chez
les Merinas qu’au moment du repas. Un etranger peut fort bien coucher dans
la chambre ou sont le mari et la femme. Il ne les gene nullement. Une femme
n’a en general aucune honte a se deshabiller devant un visiteur. Mais la
famille, surprise quand elle prenait son repas, restera longtemps honteuse.
(…)
Et les vieux Merinas disent aussi que jadis les filles que l’on venait
de marier refusaient tout d’abord de manger avec leur mari; pourtant, depuis
quelques jours leur famille les y preparait, leur donnant des
conseils. Mais ils ajoutent que le mari considerait de son devoir de les
y forcer, malgre leur honte et leurs larmes. C’est qu’une jeune fille etait
bien plus compromise pour avoir mange avec un homme que pour avoir dormi
avec lui. Et c’etait dans sa vie un evenement bien plus grave.(…)
Ici comme pour l’amour en France, c’est au mari a faire l’education
de sa femme. Il l’oblige a manger avec lui et lui apprend peu a peu toutes
les regles minutieuses auxquelles elle doit obeir. Tant qu’il n’etait que
fiance, sa femme lui avait presente elle-meme, a chaque visite, les mets
qu’elle preparait; et elle etait restee immobile, le regardant manger.
Lui cependant connaissait par la ses dispositions et sa science des regles
du repas. Mais du jour du mariage date pour tous deux une nouvelle vie:
ils auront de nouveaux devoirs et, chefs de famille, gouteront a des morceaux
differents. Elle etait depuis longtemps sa maitresse mais ce n’est
qu’alors qu’elle partagera son repas."
Sur le choix d'une epouse et la notion de virginite :
"C’est que l’essentiel quand on prend une femme, c’est d’avoir des
enfants. L’on choisira plus volontiers une femme qui a deja eu des garcons
et des filles, puisqu’on la sait capable d’etre une bonne epouse. Mais
une fille qui n’a pas encore eu d’enfants trouve difficilement a se marier
et si on la prend, c’est seulement a l’essai. Les missionnaires qui vinrent
les premiers a Madagascar furent surpris de ne trouver dans la langue du
pays aucun mot qui signifie vierge. L’idee n’existait pas. Elle parut etrange
aux Merinas, et d’ailleurs difficile a preciser. Mais les missionnaires
n’hesiterent pas a creer un mot calque du francais, virijiny. Et le mot
a maintenant pris pour les Merinas un sens trouble et vaguement inconvenant
– peut-etre une sorte de maladie. Une fillette de six ans a qui l’on demande
si elle est vierge parait offensee et repond que non.
Et la grivoiserie aimable, comme la comprennent les Europeens, est
aussi une chose inconnue des Merinas. Les actes de l’amour sont tellement
naturels et simples qu’il n’y a pas a se cacher pour en parler. Les enfants
racontent l’accouchement de leur mere, ou la maniere dont elle a passe
la nuit avec un nouveau mari, sans que personne y trouve a sourire.
Si l’amour actif, qui veut la personne choisie, n’existe guere chez
les Merinas, il y a du moins une sorte d’amour, fait de regrets, quand
l’homme et la femme qui ont longtemps vecu ensemble se separent. Il est
pareil au remords de deux amis qui se quittent, avec, en plus, la tristesse
de toutes les habitudes intimes rompues. Mais, la aussi, le chagrin parait
court :”Vous regrettez votre amie, dit un proverbe. Mais faites comme le
boeuf; il mugit de tristesse et en meme temps, il mange de l’herbe. Il
ne se contente pas d’etre malheureux.” Et manger de l’herbe cela signifie
ne pas manquer a la vie veritable, a la vie des repas – et peut-etre aussi
prendre une autre femme.
Car, souvent, la femme est comparee a un repas ou a un mets :"L’amour
de l’epouse est pareil au riz rouge, et l’amour des autres femmes au riz
blanc”. Le riz rouge est une variete de riz petite et dure. “Garde ta femme,
dit un autre proverbe, et ne va pas chercher du riz ailleurs”. Mais cette
maniere de parler est seulement pour flatter les femmes." "