Dimanche 6 décembre A.D. 1998 ~ essai de prédication
Première Lecture : Livre d’Isaïe, 11, 1-11
Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur : son inspiration est dans la crainte du Seigneur.
Il jugera, mais non sur l’apparence. Il se prononcera, mais non sur le ouï-dire. Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. Il frappera le pays de la férule de sa bouche, et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant.
La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches.
Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon. La vache et l’ourse paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le bœuf mangera de la paille. Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic, sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.
On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme les eaux couvrent le fond de la mer.
Ce jour-là, la racine de Jessé, qui se dresse comme un signal pour les peuples, sera recherchée par les nations, et sa demeure sera glorieuse.
Ce jour-là, le Seigneur étendra la main une seconde fois, pour racheter le reste de son peuple, ce qui restera à Assur et en Égypte, à Patros, à Kush et en Élam, à Shinéar, à Hammat et dans les îles de la mer.
Prédication.
Menteur ! Oui : Quel menteur, quel bateleur de foire ! quel faux prophète que cet Isaïe ! Il aurait fait un brillant politicien au pays des promesses électorales non tenues ! Allez, allez dire aux bergers du Mercantour de laisser les loups avec leurs agneaux… Allez, allez dire au zoo voisin qu’on peut laisser ensemble panthère et vache… Et vous, Mesdames, laissez, sinon demain, du moins au prochain printemps, laissez vos petits jouer sur les nids de vipères… Nous verrons alors si Isaïe a dit vrai ! Cette promesse de paix universelle qu’il vient de nous faire, nous ne l’avons vue réalisée nulle part ! en tout cas, si vous savez où, vous êtes priés de le faire savoir ! Isaïe serait-il menteur ? Mais alors, c’est le Seigneur Lui-même qui nous ment…
À moins que… à moins que, comme je le crois, les directeurs de grandes surfaces et de supermarchés ne soient meilleurs théologiens que les bigotes. Et sans doute avez-vous entendu ces derniers jours quelque bigote se scandaliser et s’indigner de ce que l’on fête déjà Noël dans les commerces un mois avant la fête… Et vous avez vu bien sûr, à Carrefour ou Auchan, trois mètres cubes de chocolats Lanvin, des escargots, et des kilomètres de rayonnage étalant mille autres victuailles sous mille guirlandes et fanfreluches brillant du feu de mille spots tandis qu’une foule empressée ne témoignait guère, dans la course aux caisses de ses mille chariots, de l’avènement de la paix universelle !
Et pourtant… et pourtant ce sont les grandes surfaces qui ont raison et pas les bigotes ! Les Grandes Surfaces ont raison car le Christ est déjà venu, il y a près de deux mille ans qu’on nous le dit… Le Christ est déjà venu et il est parmi nous… Pourquoi donc attendre et pourquoi ne pas se réjouir dès à présent ? Pourquoi ne pas fêter Noël dès aujourd’hui, et chaque jour même ? ! C’est vrai : Noël, c’est aujourd’hui…
Il manque cependant quelques éléments à la théologie des grandes surfaces pour qu’elle soit complète. Car si le Christ est venu, Il n’est pas re-venu ! Et si le Christ est venu, Il n’a pas été reçu… nous ne L’avons pas encore vraiment accueilli !
Ce n’est pas en effet seulement la naissance du Christ que nous préparons en ce temps de l’Avent. Si l’Eglise nous propose ce temps liturgique de l’Attente, attente d’un Avent, c’est-à-dire d’une venue, c’est qu’il ne s’agit pas du simple anniversaire d’un événement, mais de la célébration d’un avènement, d’un triple avènement. Le Christ est né dans le temps, dans notre temps, c’est sa première venue, son premier avènement : Il a habité parmi nous. Mais le Christ reviendra à la fin des temps pour nous introduire dans son temps, l’éternité, chez Lui, dans la demeure de son Père où Il nous prépare une place, c’est son avènement glorieux. Mais Il ne reviendra pas qu’Il n’ait d’abord tout essayé pour venir en nous, pour naître et habiter dans notre cœur et y faire sa demeure. Ce triple avènement du Christ, sa venue dans le temps de l’histoire, son retour à la fin du temps, et entre les deux, sa venue en notre cœur, c’est-à-dire au cœur de notre vie, voilà ce que nous préparons dans l’Avent, ce que nous célébrerons à Noël. Et il n’est pas trop de quatre semaines pour faire mémoire de la naissance du Christ, Verbe de Dieu, Fils de Dieu et Dieu Lui-même devenu l’un de nous ; et il n’est pas trop de quatre semaines pour interroger et nourrir notre espérance de son retour dans la Gloire à la fin des temps, car ce monde et notre vie n’ont pas leur fin en eux-mêmes ; et il n’est pas trop de quatre semaines pour préparer nos cœurs à Le recevoir et à être pour Lui mieux qu’une crèche !
Alors, si le Christ est déjà venu, Isaïe n’a pas menti… Si le Christ peut demeurer parmi nous, dans l’Eglise et en nos cœurs, sa prophétie messianique a déjà commencé de se réaliser… Et c’est vrai ! car dans l’Eglise que le Christ nous a laissée, la vache et la panthère, le loup et l’agneau, tous vont ensemble, chacun avec son caractère, nous allons tous ensemble, chacun avec sa vocation, sans nous entre-dévorer mais au service les uns des autres, conduits par un petit garçon : celui-là même dont nous allons célébrer la naissance. Et c’est vrai ! car la racine de Jessé, puisqu’une racine est de bois, a été dressée sur le monde comme un signal dans le bois de la Croix, et les nations l’ont cherchée. Et c’est vrai ! car le jeune enfant que nous sommes redevenus par le baptême peut mettre sa main sur le trou du serpent diabolique sans craindre la morsure du péché.
Oui, la prophétie a commencé de se réaliser… puisque le Christ est déjà venu, et puisqu’il est parmi nous. Le Christ est parmi nous si nous Lui ouvrons nos cœurs… Et pour être présent dans nos cœurs, Il se rend présent dans l’eucharistie à laquelle Il nous convie, dès aujourd’hui.
Et puisque nous sommes conviés par le Christ à ce banquet eucharistique, commencement et moyen du festin éternel des noces de l’Agneau, puisque nous sommes conviés à cet anniversaire joyeux de Noël qui accomplit la prophétie d’Isaïe, qui fait toutes choses nouvelles et rend notre monde différent, puisque nous pouvons hâter l’avènement du Christ et la venue de sa paix en offrant au monde la bonne nouvelle du salut, nous pouvons prendre comme devise ce mot qui n’est pas d’un Docteur de l’Eglise puisqu’il est tiré d’une des dernières chansons de Jean-Jacques Goldman : " Rien n’a changé mais tout est différent, comme ces festins qu’on mange seul ou en les partageant ". Notre partage et notre générosité peuvent faire que tout soit différent. Ils sont moyen de l’accomplissement parfait de la prophétie d’Isaïe qui annonce un monde différent. Il ne s’agit pas ici d’abord de partager des denrées en donnant à la banque alimentaire, encore que l’aumône soit un bon moyen de préparer son cœur à l’accueil du Seigneur et de reconnaître le Christ dans le pauvre. Il s’agit ici de partager et donc d’offrir et de répandre autour de nous ce que nous avons reçu de plus précieux : ce festin auquel nous sommes conviés et ses dons de foi, de charité et d’espérance.
Partageons donc la foi que nous avons reçue dans le Christ, Dieu fait homme pour nous sauver ; partageons donc l’amour de sa présence parmi nous et dans nos frères ; partageons l’espérance de son retour en Gloire, Amen !
Frère Jean-Thomas o.p.
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