Ma Mère, Monsieur le Directeur, Monsieur l’Aumônier, mes Sœurs, chers Parents, chers élèves, frères et sœurs dans le Christ,
Quel gaspillage ! ! ! Oui, quel gaspillage ! Imaginez un peu toute cette semence gâchée, ces grains semés sur de mauvais terrains… Le rendement eût été meilleur si l’on n’avait semé que dans la bonne terre ! Et puis c’est trop étendre la surface de terre cultivée que de semer partout, jusque sur les pierres et les chemins, à l’heure des quotas européens !
Mais Dieu ne calcule pas comme nous, ne cultive pas comme nous… Et comme Il veut que tous les hommes soient sauvés, Il sème largement la Parole, afin que nul ne puisse être stérile s’il ne le veut.
Permettez-moi cependant de chercher à approprier cet Evangile à notre célébration de rentrée. Quelle est cette parole ? C’est la parole de Dieu, pas seulement un message, un texte parlé, une information, mais La Parole, le Verbe… le Christ Lui-même. Mais cette parole qui doit fructifier dans les cœurs, Dieu veut qu’elle soit semée par d’autres que Lui : des semeurs… nous-mêmes. La Parole se remet entre nos mains et compte sur nous pour être répandue dans les cœurs.
Vous me direz : D’accord, mais ici, c’est une école, et pas une paroisse ou une mission… Bien sûr ! Mais il faut s’interroger plus à fond sur cette Parole de Dieu, et sur le rôle de l’école.
~ Le rôle de l’école : il est de faire grandir des petits d’homme et de les aider à devenir des hommes et des femmes accomplis, ayant à disposition ce qu’il faut de science, de maîtrise de soi et de cœur pour savoir se donner et ainsi devenir heureux.
Pouvons-nous cependant oublier que le bonheur est illusoire s’il n’est pas la béatitude, bonheur absolu que Dieu seul peut offrir parce qu'il n’est autre que la vie divine ? Pouvons-nous négliger de transmettre le meilleur de ce que nous avons reçu ? C’est à dire la connaissance de foi que Dieu nous aime, l’espérance de son salut, et l’amour envers Dieu, le prochain, et ce plus proche prochain qui est soi-même ?
" Peut-être, me direz-vous, mais, à faire ainsi de la transmission de la foi et de la grâce le premier but de notre école, ne risquons-nous pas de mettre les élèves en difficulté par rapport au monde actuel ? De négliger les valeurs de la culture contemporaine ? On ne peut faire de l’école, même catholique, une bulle dans un monde sécularisé… et l’on ne peut oublier que tous les élèves ne cherchent pas la foi… " C’est vrai aussi… Mais, je vous le demande, la culture contemporaine, dans ses aspects positifs, est-elle incompatible avec notre foi ? Non ! Car tout bien vient de Dieu, et toute vérité de l’Esprit Saint. Penseriez-vous alors que foi s’oppose à culture ? catholicisme à modernité ? Permettez-moi de remarquer qu’il n’est pas nécessaire d’être idiot pour être catholique… j’incline même à penser le contraire. Ne pas cultiver ces dons de Dieu que sont l’intelligence et la raison, le sens du beau, la connaissance des beautés de la création modelée par l’homme, c’est anémier la foi. Au contraire, une réelle culture, la connaissance approfondie des problématiques contemporaines, des richesses et des faiblesses de notre monde, des préoccupations et des angoisses, des espoirs aussi de nos contemporains, tout cela doit rendre notre foi plus agissante en nous et autour de nous.
~ La Parole de Dieu, j’y viens, n’est pas en effet coupée du monde… elle s’est faite chair et a pénétré ainsi au cœur de ce monde en même temps qu’elle en assumait les souffrances, la misère. Le Christ auquel le baptême nous configure n’est pas un homme tronqué, il est corps et âme… et homme parfait. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger ni indifférent… de même pour ses disciples. Comprenons bien : la transmission d’une authentique vie chrétienne ne saurait être un manque dans l’éducation… c’est le contraire qui est vrai !
Songeons-nous par ailleurs à la responsabilité qui serait la nôtre si nous ne donnions pas gratuitement, c’est à dire abondamment, ce que nous avons reçu ? Je songe à cette réflexion d’une jeune mère corse faite cet été à un curé de Bastia : " Si vous saviez comme j’en veux à mes parents de ne m’avoir rien transmis ! "
Je surprendrai peut-être en rapprochant ici un mot de saint Augustin, Docteur de l’Eglise, des mots d’un groupe musical que les moins âgés d’entre nous connaissent, je veux parler du groupe de hard rock Rage Against The Machine. Dans leur chanson Fistfull of steel, ils chantent, assez énergiquement : Some speak the sounds / But speak in silent voices / Like radio is silent / Though it fills the air with noises. Je traduirais ainsi, le professeur d’Anglais me transmettra ses corrections : Certains disent des mots, mais leur parole est silence, tout comme la radio est silence, bien qu’elle remplisse l’air de bruit. Il ne suffit pas de parler pour dire quelque chose, et notre monde bruyant nous laisse souvent mourir dans le pire silence, celui de l’indifférence. Il est une parole inutile parce qu'elle est vide de l’essentiel. Il ne suffit pas d’enseigner pour éduquer. C’est en somme ce que dit aussi saint Augustin en ses Confessions : " Malheur à ceux qui ne parlent pas de vous Seigneur, ils ont beau remuer les lèvres, ce sont des muets ! " [
]
Mais je n’ai que trop négligé la partie essentielle de notre communauté éducative, je veux parler de vous, les élèves. Du moins n’avez-vous sans doute pas eu l’impression d’être directement concernés jusqu’ici. Vous l’êtes pourtant, et à au moins deux titres.
Tout d’abord, parce que vous êtes la terre qu’ensemencent vos parents, professeurs et catéchistes. Or, vous le savez si vous avez déjà observé un peu les travaux des champs : la semence peut être sélectionnée, et bien semée, l’essentiel appartient à la terre, car c’est elle qui accueille ou non, laisse ou non croître les jeunes pousses. De plus, il y a une différence essentielle entre un champ et chacun de vous : la terre est malgré tout passive, et ses qualités d’accueil à la semence dépendent grandement du travail de l’agriculteur : labours, amendements etc. Mais vous, comme personnes humaines libres, vous êtes les premiers responsables de l’accueil que vous donnerez à ce que l’on sème en vous, et donc de sa croissance. Sans votre accueil volontaire et persévérant, rien n’est possible, et l’on ne peut rien vous transmettre.
Enfin, vous n’êtes pas que terrain à ensemencer. Ceux d’entre vous au moins qui ont reçu la foi au baptême, qui en vivent plus personnellement depuis leur Profession de Foi, je pense à ceux qui ont si bellement professé en juin dernier, ceux qui sont renforcés et rendus adultes dans la foi par la Confirmation, il y en a plusieurs ici… VOUS avez la chance et le devoir de transmettre aussi ce que vous avez reçu et d’offrir le bonheur de la foi à vos parents peut-être, et à ceux de vos amis qui ignorent encore l’amitié du Christ pour eux.
Pour votre tâche de semeurs de la Parole, je prie pour vous, et souhaite à tous une heureuse année !
Frère Jean-Thomas Allouard o.p.