École et République remercie
les collègues auteurs de ce texte pour la pertinence de leurs analyses
" Quelle est la nature de l'impérieuse nécessité
de changer " les méthodes " de l'institution scolaire française
? Les élèves " défavorisés " ne serviraient-ils
pas d'alibi pour rendre l'école moins sélective au regard
des critères scolaires et, de ce fait, plus favorable aux héritiers
d'un certain vernis social ? "
Elizabeth Altschull -- Voyage au pays du pédagogisme
L' E.C.J.S est née,
l' école est finie !
Pourquoi le n'importe quoi
pédagogique est tellement plus économique
Délicatement décrétée en pleines
vacances d'été au BOEN hors série, n°5, du 5 août
1999, l' ECJS (Éducation Civique Juridique et Sociale) s'est vue
imposée en classe de seconde, dès cette rentrée 1999,
à des enseignants désemparés face à cette politique
du fait accompli dont est tellement coutumier le ministre Allègre
avec lequel, pourtant, certains persistent encore à vouloir négocier.
Cette néo-discipline qu'est véritablement l'ECJS (telle que
le ministère cherche à nous la faire admettre, or on verra
en quoi cela est un non-sens doublé d'une arnaque) sera ensuite
étendue aux classes de première et de terminale dès
la rentrée 2000. Elle affectera plus particulièrement l'Histoire-Géographie,
la Philosophie, le Français, les Sciences Économiques et
Sociales et, plus généralement en raison même de la
nature gestionnaire de sa mise en uvre, l'ensemble des collègues
en postes fixes.
On doit parler au sujet
de l'ECJS de néo-discipline sinon de super-discipline pour plusieurs
raisons.
La première c'est la création ipso facto d'un
GTD ECJS composé exclusivement d'universitaires tous curieusement
localisés sur Montpellier (seul un d'entre eux, professeur de classes
préparatoires à Montpellier, se trouve être détaché
en classe de seconde pour expérimenter le dernier gadget ministériel).
L'autre raison qui fait de l'ECJS une super-discipline c'est
son objet ; aucun ! Plus précisément, comme n'a pas pu s'empêcher
de l'indiquer le Recteur JM Monteil lors dune réunion sur ce thème
le 13.10.99, cette " nouvelle discipline n'a pas de territorialité
".
Pourquoi un tel vide disciplinaire ? Il n'est pas interdit de
supposer que, comme pour les parcours diversifiés en collège,
l'ECJS doit permettre une supervision comptable grâce à la
marginalisation des autres disciplines auxquelles des heures seront prises
autoritairement pour ne pas alourdir les horaires des élèves.
L'ECJS prend dune main à l'élève (de la
philosophie, de l'histoire, du français) ce quelle lui redonnera
de l'autre sous un autre nom, ce tour de passe-passe ayant pour seule fonction
en fait d'ouvrir la " dotation horaire globale " calculée habituellement
par discipline et par établissement, à l'interchangeabilité
des fonctions pour réduire ainsi la demande en moyens disciplinaires
par la création d'un intérim interne, cest-à-dire
d'un " pool " (comme on dit maintenant dans les rectorats) de salariés
volants.
L'ECJS : d'abord une mystification
comptable
Le procédé en est simple pour qui veut se donner
la peine (et il devient urgent de s'y efforcer). Pour un chef d'établissement,
la transdisciplinarité aux soi-disant vertus pédagogiques,
c'est avant tout l'opportunité de jongler avec les moyens. Lors
de la prochaine " Dotation Horaire Globale ", les heures ECJS retirées
sur les diverses disciplines seront affectées à la nouvelle
case " ECJS ". Il y aura donc bien d'emblée une perte sèche
d'heures pour ces disciplines avec pour conséquence la suppression
des blocs de moyens provisoires, voire de demi-postes. La défense
prévue par l'administration consistera à dire qu'il ny a
pas de perte d'horaire, mais simplement transfert d'heures vers l'ECJS
. En réalité, en jouant sur les sous services multipliés
par les bouleversements occasionnés par la répartition sur
les postes des heures ECJS, les disciplines concernées ne retrouveront
pas obligatoirement les heures données à l'ECJS. De fait,
on préférera les attribuer d'office aux professeurs mis,
par ce procédé habile, en sous service et faire ainsi des
économies de postes. En clair, les professeurs de philosophie verront
peut-être l'heure de T.L. qu'ils ont donnée à l'ECJS,
attribuée à un professeur d'Histoire-Géographie mis
en sous-service, tandis qu'eux-mêmes constateront dans leur discipline
la transformation d'un demi poste (9 heures) en poste de stagiaire IUFM
(potentiel de 6 heures).
Cette " plage horaire " transdisciplinaire permettra ainsi la
souplesse nécessaire à la gestion des moyens provisoires
et budgétaires, au plus près des variations liées
aux fermetures de classes préconisées pour les années
à venir. Le même procédé a été
utilisé en collège avec les fameux parcours diversifiés
: on a bien vu ce qui s'est passé. Inutile de détailler la
bagarre à laquelle vont se livrer entre eux les collègues
pour récupérer ces fameuses heures, à la fois pour
ne pas voir leur discipline disparaître (philosophie, sciences économiques
et sociales) mais aussi pour rester dans leur établissement !
En outre, comme l'organisation séquentielle de l'ECJS
dépendra essentiellement des établissements eux-mêmes
(une heure par semaine pendant trois mois ou bien une heure et demie par
semaine pendant deux mois, etc. voir BO, HS n°5), rien n'empêchera
de confier ces heures aux T.Z.R sans suppléances. En effet, ceux-ci
ne pourront plus avancer l'argument du non-respect de la qualification
puisqu'ils seront à ce titre à égalité avec
leurs autres collègues en postes fixes. Tous compétents,
car tous incompétents !
On comprend mieux maintenant pourquoi il est impératif
que l'ECJS n'ait pas d'objet disciplinaire (sinon l'actualité et
la citoyenneté en général, mais en fait peu importe).
C'est tout simplement pour permettre la réalisation du principe
comptable à moindre coût " pas de classes sans enseignants
" pour la réalisation duquel il a fallu :
casser le statut de l'enseignant
en flexibilisant l'anti-statut des TZR
par le biais de l'interdisciplinarité ECJS (puis des
TPE), flexibiliser l'enseignement des titulaires de postes fixes en imposant
la polyvalence sur horaires partagés à plusieurs collègues,
c'est-à-dire l'instauration du " n'importe quoi pédagogique
", donc la marginalisation du recrutement de spécialistes sur lequel
reposait le système précédant trop coûteux.
Désagrégation
de la culture et du savoir dans le papotage médiatique
Par l'instauration de l'ECJS ce sont ni plus ni moins nos compétences
disciplinaires qui sont menacées dans leur reconnaissance auxquelles
on substitue progressivement des
" savoir-faire " ou des " compétences " comme pour les
élèves. L'essentiel de ce qui a donc fait notre métier
et la raison même de notre recrutement en tant que spécialiste
d'un domaine de la culture à transmettre impartialement aux générations
à venir, se verra définitivement abandonné : le professeur
se transforme petit en petit en éducateur spécialisé
dans la maintenance de flux lycéens qui eux-mêmes, n'en demanderaient
même pas autant, comme l'a très bien compris le démagogique
ministre.
En effet la démagogie érigée en politique
d'Etat, c'est là tout l'art de la rhétorique ministérielle
destinée aux familles via les médias, les associations de
parents et les syndicats à la botte : il faut marteler dans les
esprits la faillite du système actuel, l'incurie de ses acteurs
arc - boutés sur leurs privilèges, l'inadéquation
entre les attentes des
" usagers " et les exigences archaïques du milieu enseignant
(instruire), bref tout ce qu'a pu mettre de populisme dans les esprits
la consultation Lycéenne Merieu à laquelle tous les GTD ont
participé. Ce faisant, Allègre a préparé les
esprits à la médiocratie très économique que
l'ECJS instituera dans cette méprisable " école du XXI°
siècle " : enseigner moins, exiger moins puisque l'école
ne répond plus aux " vraies questions " que se posent " les jeunes
" sur la crise des valeurs que traverse la société. Moins
de cours exigeants des connaissances et plus de débats d'actualité
autrement dit légitimation de l'opinion et des discussions de comptoirs,
plus d'interactivité et de communications transdisciplinaires (le
recteur Monteil propose d'ailleurs pour les " occuper ", que les TZR fassent
des " conférences " sur de grands thèmes d'actualité,
par exemple sur les O.G.M.) prises sur les heures d'enseignements fondamentaux.
Voici à titre d'exemple quelques thèmes proposés aux
élèves en guise de Philosophie, d'Histoire, de Français,
etc. par la note d'accompagnement de la mise en place de l'ECJS selon le
GTD ECJS :
Comités de quartiers et associations;
L'incivilité;
Association et bénévolats;
Délinquance et criminalité;
Etc.
À quoi on pourrait aujourdhui rajouter dans le même
esprit : la pollution pétrolière sur les paysages, les cataclysmes
naturels et les conséquences économiques, mais aussi la corruption
politique (Strauss Khan avocat conseil, Allègre et le BRGM,
etc). Etrangement " les causes du chômage " ou " les causes de l'abstention
politique ", voire " le suicide massif des jeunes aujourdhui ", ne sont
pas des thèmes abordés par le GTD ECJS. Pourquoi
?
Quoiqu'il en soit du débat sur le fond et sur la manière
de remplir cette néo-discipline purement formelle, car totalement
comptable qu'est l'ECJS, on aura compris que le vrai débat ne se
situe pas là pour le ministère qui abandonne volontiers cela
aux différentes Inspections Pédagogiques Régionales
et aux établissements. L'objectif réel est bien plutôt
le gain calculé en termes de baisse de l'investissement budgétaire
pour le recrutement de professeurs spécialistes, et ce grâce
à l'interdisiciplinarité, euphémisme se parant de
scientificité uniquement pour ne pas dire le gros mot qui énerve
: polyvalence.
L'ECJS installée c'est donc bien à la culture
et à sa transmission démocratique par l'école que
le ministère de l'éducation nationale s'en prend. Chaque
famille fera désormais en fonction de son propre héritage
culturel familial, l'école ne devant plus avoir qu'un rôle
d'encadrement sociologique et non plus être une obligation d'État
pour la formation intellectuelle de la jeunesse. D'où la suppression
de la dissertation induite en Français et en Histoire (la philosophie
a pu résister pour l'instant malgré les tentatives du GTD
actuel) par sa mise en concurrence avec un autre type dexercice moins exigeant
et plus favorable à une notation complaisante pouvant illusionner
les familles.
C'est donc en toute logique que le GTD ECJS présente
dans sa note d'accompagnement cette néo-discipline comme " un des
éléments majeurs de la réforme ". On décode
bien mieux aussi l'obsession récurrente des deux derniers rapports
ministériels dont l'ECJS est manifestement la clef de voûte.
Par exemple lorsque le rapport Bancel (sur les conditions de
travail et de vie des enseignants) en mai 99 gravite autour de lidée
" qu'il faut être capable de recomposer les savoirs autour du besoin
des élèves par un travail en équipe collectif au sein
des établissements ", n'a-t-on pas ce que trois mois plus tard l'ECJS
imposera transversalement comme néo-discipline à l'ensemble
des personnels ?
De même lorsque le rapport Monteil (réforme de
l'IPR et de l'évaluation des enseignants) en juin 99, destitue les
IPR de leur fonction disciplinaire pour les conduire eux aussi à
" s'engager plus avant dans leurs relations avec les établissements
et dans des actions de nature interdisciplinaire voire pluridisciplinaire
" n'est-ce pas à la virgule près ce qu'officialisera un mois
plus tard le texte paru au BOEN sur lECJS ?
CQFD.
Une seule question se pose maintenant : en
tant que professeurs attachés à l'école publique et
laïque, exigeante dans ses contenus et généreuse dans
la qualité de sa transmission du patrimoine culturel, voulons-nous
oui ou non continuer à donner, malgré tout, des chances égales
d'accès à une culture authentique qui sélectionnera
toujours les différents bacheliers, ou bien, en galvaudant nos pratiques
dans le n'importe quoi pédagogique, voulons-nous préparer
notre propre fuite dans l'enseignement privé ?
Pour plus d'information sur ce texte ou sur École
et République, contactez mechantloup@geocities.com