Ségolène Royal et la "parité intellectuelle" : interview et commentaire qui n'engage que son auteur.


 
Ségolène Royal vient de demander à un groupe (mixte) de chercheur et d'enseignants de revaloriser l'image des femmes dans les manuels d'histoire et dans les cours de littérature et de sciences. Explications de la ministre déléguée chargée de l'Enseignement scolaire.
 ELLE. Les manuels scolaires seraient-ils des repaires de machos ?
 Ségolène Royal. De nombreuses représentations sexistes ont déjà été corrigées dans les manuels scolaires. Il s'agit, à présent, de rendre aux femmes leur place légitime, correspondant au rôle qu'elles ont joué dans la littérature, l'histoire, les sciences ou les arts. Quand j'étais lycéenne, j'étais déjà choquée par la marginalisation des femmes dans les cours de littérature ou d'histoire. Elles n'apparaissaient trop souvent que comme des courtisanes ou des intrigantes. Les choses n'ont guère évolué...
 ELLE. Quelles sont, pour vous, les injustices les plus évidentes ?
 S.R. Toutes les "autrices" sont minorées. Pourquoi étudie-t-on moins George Sand que Flaubert ou Stendhal ? Quel livre d'histoire accorde une place à Olympe de Gouges, qui a écrit la " Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne " ? Les souffrances et les oppressions subies par les femmes sont occultées dans les manuels actuels, de même que l'histoire de leur émancipation. Qui parle, du Moyen-Âge au XVIII° siècle, de l'éliminaion de centaines de femmes pour sorcellerie ?
 ELLE. Quelles sont les manifestations les plus flagrantes de ce sexisme?
 S.R. Je ne citerai qu'un problème de vocabulaire, qui résume tout à lui seul : le suffrage qu'on dit universel date de 1848, alors qu'il a fallu attendre un siècle de plus pour que les femmes y aient accès !
 
 Interview de Caroline Laurent. ELLE. 11/10/99
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 L'on ne saurait assez remercier Mme la Ministresse déléguée chargée de l'éducation scolaire de la pertinence de son intervention dans la revue savante Elle, et de l'intérêt des propositions avancées afin de combattre l'intolérable domination mâle dans la culture et sa transmission scolaire . Au nom de quoi en effet minorer la valeur littéraire de l'oeuvre de George Sand ou de la grande " autrice citoyenne senior célibataire par choix " (1) que fut Simone de Beauvoir, par opposition à Flaubert, Maupassant ou Jean-Paul Sartre, sinon par pur préjugé machiste ?
 Mais les propositions de Mme la Ministresse vont-elles assez loin ? C'est sans hésitation aucune que je répondrai : non ! Car il suffit de considérer les auteurs imposés par le programme de philosophie de terminale de nos lycées, discipline qu'à ma grande honte j'essaie d'enseigner à un public choisi, composé d'une majorité de "jeunes pré-femmes" (2) ( nous ne soulignerons en effet jamais assez ce que peut comporter de dépréciatif le terme de "fille", présupposant la dépendance, l'immaturité, quand ce n'est pas un doute sur la vertu d'icelles ), pour y constater une présence écrasante et injustifiée de " blancs européens machistes morts ". Nulle mention en effet dans les instructions officielles des penseuses dont la mémoire est enfouie sous des siècles de préjugés. Ne serait-il pas légitime de proposer alors des versions expurgées des oeuvres de ces B.E.M.M, afin de ne pas faire subir aux élèvesses de nos classes le traumatisme qui ne peut que résulter de la rencontre avec telle remarque de Kant sur "la minorité intellectuelle propre au sexe faible tout entier", dans ce scandaleux texte dont on ne dénoncera jamais assez le caractère pernicieux, j'ai nommé " Qu'est-ce que les Lumières ? "
 Dans un juste souci de parité intellectuelle, ne conviendrait-il pas d'attirer l'attention des responsables de l'établissement des programmes de philosophie sur l'importance de penseuses aussi remarquables que Kathryn Allen Rabuzzi, Sandra Lee Bartky, Marylin French, autrices dont les oeuvres ( respectivement : " Motherself ", " Feminism and domination", " The war against women") constituent une dénonciation de la domination mâle dans l'histoire de la pensée et de la culture ?
 Mais un doute m'assaille : ne conviendrait-il pas d'exiger plus simplement la suppression de cet enseignement de la philosophie, terme dont le genre fut habilement choisi par les mâles dominateurs pour tenter de dissimuler à quel point le machisme y domine ? Je me permettrai d'avancer cette modeste proposition pour la soumettre à l'attention bienveillante du groupe (mixte) de chercheurs et d'enseignants mis en place par Mme Ségolène Royal à fins de purge libératrice.
 Mais pourquoi ne pas envisager également une réforme de l'histoire de l'art ? Car une écoute dénuée de préjugé pourrait faire reconnaître à qui sait l'entendre que " le point de récapitulation du premier mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven est un des moments les plus horrifiants de la musique tout entière, la cadence savamment préparée étant délibérément frustrée, l'énergie accumulée explosant dans un accès de rage d'un étrangleur, d'un violeur incapable du moindre soulagement. " (3) Quant aux "thèmes de masturbation mâle" (4) dans l'oeuvre de Richard Strauss et de Gustav Mahler, seule la mauvaise foi pourrait empêcher de les y entendre. Et en ce qui concerne l'art pictural, une attention même superficielle permettra de voir dans les oeuvres de Willem de Kooning et Pablo Picasso une "haine des femmes", justement dénoncée par Marilyn French. Fort heureusement, la vigilance de nos ministres et ministresses de l'éducation nationale a depuis longtemps mis les jeunes esprits des élèves et élèvesses de nos lycées à l'abri de l'influence délétère de Beethoven, Strauss, Mahler, Kooning et Picasso, au point que leurs noms leur sont aujourd'hui inconnus. Puissent-ils à jamais disparaître dans les gouffres de l'oubli !
 Mais comment ne pas songer également aux plus jeunes dont les esprits doivent être eux aussi protégés du sexisme mâle, et envisager la mise en place de Comités de vigilance citoyenne qui expurgeraient les dessins animés et les contes pour enfants de leurs préjugés par trop insultants. Car comment ne pas voir dans le Roi Lion de Walt Disney une " ode au patriarches " comme l'a justement remarqué Ellen Goodman dans un article du Boston Globe ? Combien formatrice pour ces chères têtes blondes (mais aussi noires, rousses, brunes, châtains, vertes ou bleues, car il convient de ne lèser personne) pourrait alors être la lecture de " Blanche-Neige et les sept personnes à croissance limitée "...
 Le "manager de l'aventure quotidienne d'apprendre" ( Grâces soient rendues à Mr Philippe Meirieu, qui m'a fait comprendre le caractère sclérosé de mon attachement à l'appellation passéiste de "professeur" ) que je suis en train de devenir osera-t-il soumettre une dernière proposition ? Osons ! Puisque c'est la culture tout entière qui est dominée par les préjugés machistes, ne faudrait-il pas en interdire la transmission à l'école dans un souci de salubrité et de justice ? Mais c'est justement ce à quoi le ministre Claude Allègre et la ministresse Ségolène Royale s'emploient depuis leur prise de fonction, tâche émancipatrice pour laquelle ils ne seront jamais assez félicités !
 
 


(1) Je souhaite remercier Philippe Meyer qui m'a permis de découvrir cette expression forgée par Mary Kenny, du Daily Telegraph, et qui dans ses chroniques a remarqué à quel point, dans l'éducation nationale, le progrès faisait rage...
(2) Nouveaux remerciements à Mary Kenny.
(3) Article de Susan McClary paru dans la Minnesota Composers Forum Newsletter de janvier 1987.
(4) Susan McClary de nouveau...


 
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