" Le rapport Bancel prévoit le démantelement des statuts des professeurs et le rapport Monteil la mise en place d'une police pédagogique "
 
RAPPORT SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE DES ENSEIGNANTS DE LYCEE
 
 
 
Par lettre du 29 octobre 1998, le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie confiait au recteur Bancel une mission relative à l'étude des conditions de travail et de vie des enseignants de lycée.
Afin de mener à bien la mission, un groupe de travail a été constitué. Composé de 18 personnes intervenant à titre personnel, choisies intuitu personae ou sur la suggestion d'organisations syndicales ayant accepté de articiper à la réflexion, le groupe s'est réuni régulièrement entre novembre 1998 et avril 1999. Il a écouté différentes personnalités et
organisé son travail sous des formes variées : réunions de travail, séminaires de réflexion, tables rondes...
Le groupe n'a délibérément pas souhaité subordonner sa réflexion aux résultats d'autres travaux parallèles ou récents. Il a, pendant quatre mois, travaillé en commun de façon très constructive, dans un remarquable climat de confiance.
Tous les membres du groupe partagent l'analyse faite sur l'évolution du métier d'enseignant, le diagnostic qui en est tiré, ainsi que les objectifs recherchés. Ils ont pu parfois exprimer des divergences en terme de stratégie : lorsqu'elles ont subsisté au moment de la formulation des propositions, elles sont bien entendu signalées.
Après s'être interrogé sur l'essence même du métier d'enseignant et sur ses évolutions, le groupe a été unanime à considérer qu'il était nécessaire de tenir compte des changements profonds qui se sont produits en s'appuyant sur deux principes refondateurs :
 
De cette conviction partagée découlent les propositions qui sont ensuite
formulées.
 
UNE NECESSITE :
 
TENIR COMPTE DE L'EVOLUTION IMPORTANTE INTERVENUE DANS LE METIER
D'ENSEIGNANT
 
 
 
La spécificité du métier d'enseignant a toujours été reconnue. Administrativement, elle s'est essentiellement manifestée par la particularité de la définition de ses obligations de service. Si, comme tout fonctionnaire, l'enseignant est astreint au nombre d'heures de travail défini pour l'ensemble de la fonction publique, cette obligation légale et générale se traduit pour lui en la détermination d'un nombre d'heures de cours dues aux élèves, variant selon le corps auquel il appartient.
Les différences dans les obligations de service selon les corps traduisaient concrètement des variations dans le degré de qualification des enseignants, la nature de l'enseignement, le public concerné.
Il est admis qu'une heure de cours entraîne en effet un certain nombre d'heures de préparation, de recherches personnelles, de temps de correction de copies. Ces heures de travail effectuées par les enseignants en dehors de la présence des élèves sont elles-mêmes variables selon les disciplines enseignées, les effectifs des classes..., des règles systématiques sont donc difficiles à énoncer.
Les obligations de service sont réglementairement définies par différents décrets de 1950, suivis d'aménagements divers introduisant des majorations ou des minorations sur la base du nombre d'élèves concernés par le cours, en raison de l'augmentation ou de la diminution du nombre de devoirs à corriger. Ces dispositions apparaissent aujourd'hui obsolètes, dans la mesure où elles ne permettent pas de prendre en compte l'émergence de disciplines nouvelles, l'évolution des missions confiées aux enseignants et les diverses modifications intervenues dans la façon de travailler : travail en zone d'éducation prioritaire, modules, nouvelles technologies, aide à l'étude, etc.
Des aménagements divers sont donc intervenus sur la base de circulaires ou de lettres ministérielles dont la régularité juridique est d'ailleurs contestable .
Au delà du travail personnel fait hors de la présence des élèves, la densité même du cours, l'attention continuelle et l'implication personnelle qu'il exige, les sollicitations permanentes et diverses auxquelles l'enseignant doit répondre font qu'à l'évidence il ne pourrait être exigé de quiconque plus qu'un nombre d'heures de cours limité durant une même journée. Ces caractéristiques rendent particulièrement nécessaire la prise de recul que
permettent les périodes de vacances dont bénéficient les enseignants au delà de la durée légale des congés annuels. Par conséquent, il apparait qu'un calcul du temps de travail des enseignants par "règle de trois", à partir de leur temps de travail pendant l'année scolaire ne saurait autoriser une comparaison mécanique avec des normes établies pour d'autres professions de la fonction publique.
 
Le groupe de travail a pris connaissance des travaux de la direction de la programmation et du développement sur les estimations faites par les enseignants de leur durée de travail par semaine "normale". Il n'était pas dans les missions du groupe de confirmer ou d'infirmer ces études pas plus que de produire un complément au rapport Rochet. Il faut préciser toutefois que la mesure du temps de travail des professions intellectuelles est
toujours délicate en raison de l'autonomie professionnelle, de l'opposition entre " temps contraint " et " temps libre " et de la difficulté à déterminer ce qui fait partie du temps de travail.
Les estimations moyennes masquent une extrême dispersion des observations et des réponses.Les diverses études semblent établir des différences sensibles selon :
? les corps (même s'il ne doit " que " 15 heures de cours, un agrégé déclare travailler globalement en moyenne une heure de plus qu'un PLP et qu'un certifié et deux heures de plus qu'un PEGC), ? les disciplines (les littéraires déclarent travailler en moyenne deux
heures de plus que les linguistes et deux heures et demi de plus que les scientifiques),
? les établissements (en lycée on travaille environ trois heures de plus par semaine qu'en collège, et une heure de plus qu'en lycée professionnel), ? le nombre de classes en responsabilité.
Ce constat met en évidence la difficulté qu'il y aurait à préconiser l'uniformité des services et leur fixation dans un texte de nature statutaire intangible, ainsi que l'inéquité qui pourrait en résulter en définitive pour les enseignants.
A l'occasion de la discussion générale sur les 35 heures et de l'aménagement du temps de travail des fonctionnaires, l'ensemble de ces questions devra être remis à plat, en tenant compte des états de faits établis mais aussi des évolutions importantes auxquelles les enseignants ont été confrontés ces dernières années dans l'exercice de leur métier.
 
 
 
 
 
 
 
En effet, des transformations profondes se sont produites, qui donnent aux enseignants le sentiment de faire un travail de plus en plus difficile, sans être considérés, ni même parfois reconnus. Depuis une quinzaine d'années, les conditions d'exercice du métier
d'enseignant ont fortement évolué, parallèlement à l'augmentation du nombre d'élèves accueillis en lycée : le pourcentage d'obtention par une classe d'âge du baccalauréat est passé de 25% en 1980 à 61,5% en 1998.
 
Avec la massification de l'enseignement ont disparu bien des formes deconnivence culturelle entre le lycée et les familles. Mais, dans le mêmetemps et de façon apparemment paradoxale, l'augmentation du niveau de qualification de l'ensemble de la population remet parfois en cause la reconnaissance sociale de l'enseignant, son appartenance à une élite.
Face à des publics de plus en plus hétérogènes, les enseignants sont confrontés dans leur pratique quotidienne à la question de ce qu'il est possible, voire légitime, d'enseigner. C'est à eux seuls qu'il revient de construire un rapport de sens aux contenus et aux apprentissages pour des élèves qui n'avaient jusqu'alors guère accès au lycée.
D'un autre côté, l'évolution rapide des connaissances, le développement des
technologies de l'information et de la communication devenus outils dans la vie sociale, professionnelle voire familiale posent le problème de l'articulation entre l'information proliférante et le savoir construit, entre le " savoir savant " qui se développe de façon exponentielle et le savoir scolaire. Pour permettre aux élèves d'acquérir l'autonomie, la
créativité et la curiosité d'esprit qui sont les éléments nécessaires de
l'acquisition du savoir, l'enseignant doit maintenir une neutralité et une distance critique même si pour les élèves, le contraste paraît grand entre la gratification instantanée et sans effort offerte par les médias et les exigences de la réussite scolaire.
L'institution scolaire est elle-même confrontée à la décentralisation et à ce que certains sociologues appellent " la territorialisation des politiques éducatives ". Les élus, les parents, le public estiment de plus en plus avoir leur mot à dire dans les décisions relatives à l'organisation scolaire. Ce contexte qui, d'un côté traduit l'ouverture de l'école sur la
cité et son intégration pleine et entière dans la société, de l'autre influe sur les conditions de travail des enseignants qui sont trop souvent soumis à des pressions, des polémiques, voire des outrances médiatiques.
Une obligation de résultats accompagne de façon paradoxale ce sentiment d'incertitude, de perte de repères. Il est demandé à l'école, aux enseignants, une amélioration de l'insertion professionnelle, une solution aux problèmes de violence. L'institution scolaire et les enseignants sont " culpabilisés ", " accusés " de ne pas préparer convenablement les jeunes à l'emploi et à la vie citoyenne. Or non seulement l'école n'est pas responsable du chômage, mais il convient de rappeler qu'elle en protège plutôt, le taux de chômage étant inversement proportionnel à la durée des études et au niveau des diplômes obtenus. Mais les familles ont de plus en plus tendance à traduire leur attente vis-à-vis des enseignants en une attitude consumériste. La presse établit des classements des établissements,
les résultats au baccalauréat sont largement médiatisés.
Selon l'établissement d'affectation ou les classes auxquelles sont dispensés les enseignements, la disparité des conditions de travail des enseignants  est grande. Cependant personne ne semble s'offusquer du renvoi implicite au local de la recherche de solutions permettant de dépasser la contradiction entre des situations d'enseignement de plus en plus diversifiées et une tendance à l'uniformisation des statuts, des obligations de service, de la formation initiale, uniformisation qui n'est d'ailleurs pas propre à la
fonction enseignante.
Dans certains quartiers, les élèves ont perdu les repères les plus élémentaires de la vie en commun et la violence n'est pas absente des établissements scolaires.
A l'intérieur même de la classe et dans l'enseignement d'une discipline, les repères ne sont plus évidents : les orientations pédagogiques varient trop souvent au gré des réformes successives, et le professeur est finalement souvent laissé seul dans la construction de ses propres logiques.
Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s'est exercée la gestion des
personnels ont aggravé la situation des nouveaux enseignants. La nécessaire
adaptation annuelle de l'offre de formation, qui consiste à mettre les
enseignants là où sont les élèves, a longtemps été facilitée par la
souplesse qu'offrait le recours à du personnel non titulaire, les maîtres
auxiliaires. Ce fonctionnement est devenu inacceptable dans une conjoncture
économique qui n'est plus celle du plein emploi. Faute d'avoir trouvé
d'autres marges de manoeuvre, d'autres éléments de souplesse, les modalités
d'affectation ont placé les jeunes enseignants dans les situations
professionnelles les plus difficiles : enseignement dans des disciplines
connexes, services en lycée professionnel pour de jeunes certifiés,
affectation dans les zones sensibles, fonctions de remplacement non
demandées, mobilité annuelle...
 
Confrontés à ces évolutions contradictoires, à ces remises en question
importantes, les enseignants ne se sont pourtant pas réfugiés dans
l'immobilisme. Ils ont su inventer des réponses, en particulier dans les
zones d'éducation prioritaires, dans lesquelles ils ont développé des
démarches de projet ; ils ont pu ainsi approfondir et diversifier leurs
méthodes pédagogiques, essentiellement par le travail en équipe. Mais
beaucoup d'entre eux se sont usés dans ces tentatives d'adaptation mal
relayées par l'institution et difficilement prises en compte.  Ils n'ont, en
outre, pas encore pu disposer complètement du temps nécessaire au changement
dans la pratique d'un métier. Les enseignants ont en effet besoin du temps
de maturation et d'appropriation qui accompagne nécessairement les
changements en profondeur, temps qui se déploie dans une durée difficilement
compatible avec celle de l'action politique relayée par les échos
médiatiques. Ils ont besoin aussi que l'institution leur propose des
objectifs stratégiques à moyen et long terme.
Différents travaux et divers sondages montrent que les enseignants sont
prêts à relever les défis que représentent pour eux l'évolution de leur
métier et les attentes sociales à l'égard de l'école. En particulier, les
perceptions que les enseignants ont de leur métier et de ses modes
d'exercice, ainsi que l'évolution de ces perceptions, peuvent être
appréciées grâce aux enquêtes conduites notamment par la direction de la
programmation et du développement.
Ces travaux démontrent que la perception que les enseignants ont de leurs
missions est conforme à celles que leur assigne l'institution, à savoir :
faire acquérir des connaissances disciplinaires utiles à la poursuite
d'études et à la réussite à l'examen préparé (23% des réponses), donner à
l'élève les moyens de comprendre le monde et de s'y situer (21%), former les
élèves à des méthodes de travail (16%).
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Face à ces changements, il faut que l'institution donne aux enseignants les
moyens de faire face, de se sentir légitimes, en appliquant deux principes
essentiels : conforter l'enseignant dans sa qualité d'expert tout en
l'aidant à prendre la mesure du cadre nouveau dans lequel s'exerce cette
expertise.
 
 
DEUX PRINCIPES REFONDATEURSCONFORTER L'ENSEIGNANT DANS SON RÔLE D'EXPERT ELARGIR SON CADRE DE REFERENCE PROFESSIONNEL
 
 
 
2. Elargir le cadre de référence professionnel
 
 
 
 
 
VINGT-TROIS PROPOSITIONS
 
 
1. Tenir compte dans la fixation des services des enseignants des évolutions du métier
 
 
 
 
 
 
 
 
 
     
 
 
2. Professionnaliser le recrutement et la formation
 
   
            3. organiser le travail dans l'établissement  
 
 
   
4. Améliorer le parcours professionnel et les conditions de vie
   
 La refondation du métier d'enseignant qui parait aujourd'hui incontournable doit reposer sur des principes investis de sens pour les enseignants et les modalités de mise en oeuvre doivent être adaptées à la réalité de l'exercice professionnel.
 Les enseignants attendent à la fois un discours fort sur leur identité professionnelle et une volonté de conduite maîtrisée des mutations indispensables.