NEWSLETTER 10
Nota: toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existe, ayant ecrit un bouquin, s'appelant Sylvain et Alexandre et etant carrement nos heros serait of course purement fortuite et de l'ordre de la coincidence et du hasard. ------------------------------------------------------- LA LETTRE DE NOUVELLE ou Les Cavaliers Errants Heros (ranpataplan) Les personnages: Le Chavalier Geobbelet du Val: officier du roy et cavalier emerite Le Baron de Saint Vincent: cavalier du roy et officier emerite Alexandrine Pattun de Fraims: precieuse Sylvania des Rayeures: ridicule Cledeonte: paysan quechua Amphigouri: paysan aymara Theocrator: paysan aux dents noires et a l'haleine fetide ACTE I, sc.1 A la cour du ViceRoy du Haut-Perou, dans une antichambre du palais (pasque "antichambre", ca fait drolement classe) ALEXANDRINE: Baron de Saint Vincent, que de temerite! Du Viceroy Salsa vous ne demeritez. SYLVANIA: Et vous Chevalier, j'oserais me risquer A vous traiter de fou tant vous etes cavalier. LE BARON (a lui-meme): Dame! Le joli tour! Pour si je me tiens coi Je ne le pense pas moins etre un tour de roi LE CHEVALIER (a genoux, suppliant Sylvania l'air follement epris et le coeur battant): Ma belle devant vous tout mon courage fond Et devant vos regards je ne suis qu'un pion. Mais pour un seul instant avec vous en secret, Jolie Sylvania, ce pion se damnerait. ALEXANDRINE (qui commence a en avoir sa claque des jeux de mots relou et approximatifs): Contez-nous, mes gentils, de vos mesaventures... SYLVANIA (enthousiaste): ...et de vos chevauchees sur vos fieres montures LE BARON: Eh bien soit, je... CLEDEONTE (apparaissant soudainement, un bonnet peruvien sur la tete et visiblement ivre): Que diantre mes amis gringos! N'auriez-vous messeigneurs pour nous quelques lingots? AMPHIGOURI (une flute de Pan a la main et grommelamt entre ses 2 dents): Je suis pauvre il est vrai, mais les ames boliviennes Noieront dans la chicha mon chagrin et ma peine. CLEDEONTE (imitant l'accent d'Eric Cantona): Cessez ces fariboles, venez nous rejoindre Nous regarder pleurer, nous morfondre, nous plaindre. Partagez avec nous les plaisirs ephemeres D'une goulue lampee de ma chicha amere. THEOCRATOR (soufflant son haleine fetide a la face des cavalier): Ouais mon pote, amigo, viens te bourrer la tronche, C'est carrement d'la balle, on a du mega-punch! LE CHEVALIER (hors de lui): Hors de ma vue vilain, maraud, butor, faquin, Ou bien de mon epee tu tateras le fer! LE BARON (pareil): Et si de mon fourreau, je tire ma rapiere, Ton foie explosera, vieux paysan andin! Les 3 paysans tendent a nouveau un verre de leur chicha repoussante aux 2 cavaliers. Exasperes, ceux-ci tirent leur epee et les empalent tour-a-tour avec du sang qui gicle et tout. Les 3 expirent en poussant des cris affreux (genre "ay ay ay, me duele el corazon". "el condor pasa" ou "no puedo vivir sin tu amor") LE BARON: Reprenons mes amis ce recit passionnant... Gentil lecteur, pour une meilleure comprehension de la suite, le recit du Baron sera traduit en prose moderne pasque faut pas rever non plus les gars. Nous quittons donc, par un bel apres-midi, l'accueillante Cochabamba, ses soirees animees, nos copines boliviennes ainsi que les 2 derniers suisses du voyage. Nous voila seuls a present. Il fait beau, on fait peter le short, les oiseaux gazouillent et le soleil brille, nous sommes heureux et sifflotons gaiement un air de Shakira tout en pedalant avec entrain... Nous montons peu a peu dans les montagnes, confiants, plein d'espoir en l'homme, le vie et l'amour. Mais le Destin cruel, jaloux de tant de bonheur, avait decide que la route fraiche et joyeuse, la fleur au fusil, s'arreterait apres la 1ere nuit sous tente. Peu apres, nous entamons une longue montee, surs de trouver de quoi nous restaurer au sommet. Ouais, bah manque de bol ya rien en haut ni en bas et les pueblos croises n'ont meme pas de tienda. On creve la dalle, on a pas de provisions. En effet, jusqu'ici, du Canada au Perou, nous trouvions a nous restaurer de facon reguliere et avions donc pris la facheuse habitude de ne pas emporter grand chose a manger dans nos sacoches Chapak, deja remplies de cassettes, de couvertures, d'instruments de musique inutiles, de la vieille tonne de polars en anglais trouves d'occase a Cochebombe et autres artefacts aussi indispensables qu'une lanterne a bougie, des balles de jonglage (2 - d'ou pratique), un foetus de lama, un affiche electorale de l'ex-president Zamora, un poster de vigogne, une armoire normande et une magnetoscope VHS tri-standard. Bref, on a faim, on a mal, on souffre, on compatit avec Ghandi et on est oblige de se defaire de l'armoire normande susmentionnee. On est quand meme pas morts, ayant reussi a subsister grace a quelques vagues bouts de pain et un peu d'eau trouble. Les montees reprennent dans un paysage de montagne d'ocre rouge, aride, sauvage et desert. Mais la vraie epreuve vint lorque nous arrivames sur la route d'Epizana a Sucre. Tout commence par quelques kms de paves pour se mettre en jambe. Mais pas les paves bien carres du Paris-Roubaix. Non, ca c'est pour les mouflets, moi je vous parle d'enormes cailloux mis n'importe comment sur la route et ca, c'est dur. Puis, le Destin - decidement aussi mechant et vil qu'une bouteille d'Orangina rouge - nous a mitonne une petite piste a se flinguer. Youpi! Un petit bijou de trocha -comme on dit ici- caillouteuse et pierreuse a souhait, avec un soupcon de sable traitre, une pincee de poussiere sale soulevee par les rares camions qui passent, le tout saupoudre de rayons brulants du soleil de montagne. Moralite: des records absolus de lenteur; Thomas arrive a atteindre la vitesse exceptionnelle de 3 kmh en montee, mais je le retame en descente avec un 5kmh dont je ne suis pas peu fier ma foi. Tout ca fait mal au velos et au moral. Mon pauvre Jean-Mi souffre des rayons arrieres et mon pneu avant, baptise "L'Intrepide" apres 8500km de bons et loyaux services, explose dans un grand bang assourdissant. A regret, L'Intrepide est relegue au port-bagage et nous pleurons sur son petit corps de caoutchouc pantelant alors que L'Intrepide II est lance a sa suite. Nous traversons des etendues vallonnees et desertiques, la faim au ventre et la gorge seche. Enfin, bref, c'est la deprime, le nervous breakdown, l'ataque de nervios, la crise, l'angoisse. De temps a autres, je pose le velo pour lancer des cailloux dans le fosse et me defaire de la frustration qui s'accumule, et nous nous voyons contraints d'abandonner a regret le magnetoscope VHS tri-standard. Tout n'est cependant pas a jeter dans cette route de merde. D'abord c'est joli (pour peu qu'on aime quand meme les cactus et les chevres) et la route est fleurie de bouquets ornant les tombes des accidentes de la route qui la jalonnent (la route). C'est que nous traversons la region pendant la Fete des Morts, qui dure 3 jours dans les campagnes boliviennes. Nous avons donc l'occasion d'assister a de spectaculaires festivites a cette occasion. En plus, cette region, notamment pres des villages de Totora et d'Aiquile (capitale mondiale du charango, ceci dit entre parentheses comme vous pouvez d'ailleurs le constater), a ete touchee l'annee derniere par un seisme (6.5 sur l'echelle de Richter, 9 sur l'echelle de Mercalli, 4eme barreau sur l'echelle des pompiers) qui a fait plusieurs centaines de morts. Du coup, y'a tout plein de morts pour y faire leur fete, c'est d'enfer. Tout le monde est completement fait a la chicha de maiz, c'est la fiesta dans les cimetieres a coup de musique et de vendeurs de bonbecs. Les hommes nous arretent tous pour nous proposer yet another verre de leur chicha degueu (avec laquelle j'ai bien failli y passer, cf. episode 8), et les femmes des villages pres desquels nous dormons viennent nous voir le soir pour nous expliquer, les larmes aux yeux, comment leurs fils sont morts l'an passe et qu'elles vont boire et danser toute la nuit en leur honneur. On a bien rigole en voyant les hommes deguises en femme danser au son de l'accordeon et du charango, nous avons admire la dexterite des filles des villages qui, d'une gigantesque balancoire, doivent attraper des sortes de pinatas avec leurs pieds, bref c'estait coule. Merci les morts de nous avoir offert un si belle fete. Pour les morts, hiphiphip Hourrah! Mais, gare, car tout n'est pas rose meme dans ces villages-oasis. Tapi dans la penombre des toits de chaume des maisons d'adobe, guette un danger mortel qui menace le voyageur comme le bolivien. Cette menace, c'est l'immonde et terrible VINCHUCA! Tatata! L'affreuse et repugnante vinchuca, sorte de cafard-punaise geant assoiffe de sang (a ne pas confondre avec la viscacha sorte de vieux lapin ride assoiffe de sang, ou la vicuna, sorte de chamelide assoiffe de sang), sort le soir pour se repaitre de l'hemoglobine de l'imprudent. Mais surtout, l'horrible et epouvantable vinchuca est le principal vecteur de la non moins epouvantable Maladie de Chagas (sans jeu de mots pour les HEC qui se reconnaitront), maladie mortelle et incurable qui tue apres une periode d'incubation dans l'organisme de 20 a 30 ans. Comme quoi, nos 2 aventuriers intrepides ne reculent devant aucun obstacle. Ah, regardez-les comme ils ont fiere allure, bravant tous les dangers sur cette piste pourrave! C'est donc avec amertume apres cette piste salee que nous atteignons enfin Sucre, ville blanche, coloniale et tranquille au nom propice aux jeux de mots les plus lamentables. A Sucre, nous renouons enfin avec les musees, decouvrant les merveilleux tissus de Tarabuco et Jalq'a ou nous mettant au parfum quant a l'histoire torturee de la Bolivie. Ce qui ne nous empeche pas de passer de longues heures assis sur un banc de la place en compagnie de Raquel et mariela, nos deux bolas preferees (bola=bolivienne, pour les jeunes), de nous balader avec nos nouveaux habits chics de minets boliviens (30 balles le pantalon pour remplacer la loque trouee par l'usure de la selle) pour se faire siffler par les boliviennes ou de sortir en boite-salsa-cumbia-merengue-samba avec Linda (canada) et Remy (pays-bas). Dans les villes, c'est en effet l'occasion de rencontrer des tas d'israeliennes, allemandes, anglais et autres suisses qui, comme nous, aiment a changer de temps a autres de la traditionnelle conversation "Combien ca coute" bolivienne. Puis, c'est le depart pour Potosi, mythe bolivien, sur une route -o miracle- asphaltee. Nous quittons a regret nos petites habitudes sucrenas comme petit dej' de saltenas (sortes de petits pains fourres a la viande, pomme de terre et herbes...) ou le bon jus de goyave du marche a 1F. En revanche, c'est avec joie que nous nous separons de la vieille bique proprio de l'hotel, une Folcoche tyrannique, obsedee par ses plantes et haissant nos velos. Nous l'appelons entre nous "la viscacha". La route pour Potosi monte dans une zone sous-peuplee, a l'exception de quelques pueblos hantes par des hordes de jeunes missionnaires mormons blonds en cravate (enfin, des honorables elders de l'Eglise de Jesus Christ et des Saints du Dernier Jour et Tout Ca). Dans une descente, la derniere de qualite des Andes, Thomas profite traitreusement d'un instant d'inattention du narrateur, occupe a reparer sa sacoche avant, pour donner un grand coup de pedale et prendre le record pour la 1ere fois avec un impressionnant et vertigineux 82.2 kmh (Aaargh! Rage, desespoir et vieillesse ennemie...). Vers la fin, notre pire ennemi se leve. Le vent (car c'est bien lui bande de fripons, vous l'aviez devine) nous fait perdre bien 10 ou 15 kmh et ca plus la montee, ca commence a bien faire. L'arrivee sur Potosi se fait dans une tempete de sable effroyable et nos sommes bien contents de nous refugier dans l'enceinte de la ville. Nous traversons les quartiers delabres des mineurs qui travaillent au Cerro Rico, la montagne orangee qui domine la ville, exploitee pour son argent et son etain depuis le XVIe siecle et trouee comme un gruyere. Au cas ou ca vous interesserait, Potosi est la ville d'importance la plus haute du monde, a 4070m, soit plus que Lhassa. Comme quoi, c'est pas pour dire mais on a vraiment peur de rien... Les visites de musees d'histoire, d'eglises et de couvents super jolis reprennent, et permettent au voyage d'atteindre un coefficient culturel proche de 7.5 sur l'echelle Jack Lang. Mais le plus impressionnant (mises a part peut-etre les 2 allemandes qui dorment dans notre dortoir), ce sont bien les mines du Cerro Rico. Guides par Roberto, un ancien mineur et accompagnes dún colombien rigolo, nous descendons donc aux plus profond des entrailles de la terre et de la misere humaine. Pasque comme je le signalais recemment a mon oncle (qui a un peu tendance a la ramener avec son voyage en Asie), a cote des mines de Potosi, Germinal c'est bon pour Picsou Magazine. Nous achetons tout d'abord quelques cadeaux pour les mineurs, vu que c'est pas tous les jours Noel la-bas: cigarettes, alcool, feuilles de coca, dynamite et TNT. On s'amuse comme des oufs en allumant un baton de dynamite a l'exterieur, histoire de rigoler un bon coup, et ma levre se fend avec le choc de l'explosion (bidonnant). Tout ca pour dire que vraiment on est pas des mickeys (mais a-t-on encore besoin de le repeter?)et qu'a jamais, les mots "meche courte" et "Couchez-vous, ca va peter je vous dis!" nous feront frissonner de plaisir. Puis, armes de casques, lampes et cires, nous descendons vers l'enfer. Il fait noir et Thomas se cogne contre les murs. C'est etroit et nous nous faufilons (avec grace) dans des passages toujours plus etriques, en apprenant avec joie que meme les mineurs se perdent parfois dans ce labyrinthe obscur et souterrain... Au detour d'un boyau, nous tombons soudain nez-a-nez avec un mineur en pleine action, boule de coca dans la bouche, pique et marteau a la main et train de buriner comme un vieux salaud pour faire des trous et placer ca dynamite et exploiter son filon d'etain (ici, les mineurs travaillent pour leur propre compte, choisissent leurs horaires et ont l'usufruit des filons qu'ils decouvrent, ce qui ne les empeche pas de crever la dalle et de travailler comme des brutes). Il nous laisse manier ses instruments pendant quelques mineutes. Nous soufflons comme des boeufs au bout de 3 secondes, on se tape sur les mains avec le marteau de 10 kilos et on fait des trous de pedes, quand je serai grand, je serai pas mineur en tout cas. Puis, on place la dynamite et on se casse en courant, meche a 3mn, on va tous y passer les gars. BOUM! BOUM! La terre tremble et les lampes s'eteignent, et les couloirs s'emplissent d'une epaisse fumee qui pique a mort les yeux et ne demele absolument pas les cheveux. Nous ressortirons de la mine impressionnes, pour parler avec les mineurs qui nous racontent leurs histoires d'accidents ou celle de leur pote qui avait fait un pacte avec le Diable pour trouver des bonnes veines. Le tout arrose de Singani frelate et super fort. Bref, une aventure humaine incroyable et emouvante, que je conseille a tous, meme a ceux qui croient avoir tout vu en Asie. Dans la ville sinon, entre 2 cinoches et 3 saltenas, nous rencontrons encore un cycliste, hollandais cette fois-ci (en genaral, ca peut etre aussi suisse ou allemand). Depuis le debut du voyage, nous avons croise 29 cyclistes, qui pour la plupart se dirigent vers Ushuaia et la Terre de Feu (nous on savait pas, on va au Paraguay, desoles). Comme y'en a ras-le-bol de tous ces mecs qui commencent a nous gonfler a faire rien qu'a nous copier, nous l'envoyons balader et pleurer sa mere a coup d'insultes cyclistes bien senties ("He! Ta mere en chaussures a clip devant chez Decathlon!" ou "Ouah, va donc eh! Ton Shimano STX il est trop pourrave!"). C'est vrai quoi a la fin, faut pas trop nous chercher. Nous on est pas des charlots. Pasque tu vois, nous, ce qu'on aime c'est avant tout le defi sportif, le challenge physique. La souffrance ne nous fait pas peur, la douleur et les larmes sont notre pain quotidien et "abnegation et depassement de soi" notre seule devise. Fous de risque, passionnes de l'effort, toujours nous repoussons plus loin les limites de nos corps et les frontieres du possible. C'est pour ca que, lorsque nous apprenons que la route pour Tarija est faite de la meme trocha-suicide que celle pour Sucre, nous ne faisons ni 1 ni 2 et sautons dans le premier bus, au mepris le plus total des dangers de la route, des alpagas fous qui la traversent en courant et des risques de panne d'essence. Ah, les braves! Quel courage, ca fait chaud au coeur! Nous arrivons donc facilement a Tarija (apres 14h de bus pour 350kms, c'est dire l'etat du terrain), ville chaude a l'atmosphere detendue ou nous passons quelques doux jours de farniente en compagnie de Sharon notre copine israelienne de charme (dite entre nous Mosche Dayan). D'autant que nous tombons en plein journee-paro. Absolument tout est ferme pendant une journee en signe de protestation contre cet enfoire de gouvernement central qui fait rien qu'a nous spolier. Nous sommes d'ailleurs tres impliques dans la politique bolivienne (A mort Banzer!), car nous parcourons le pays en pleine periode d'elections municipales. Nombreuses sont les photos de Thomas, brandissant un drapeau rouge du PCB (Parti Communiste en soi, c'est deja rigolo, alors Parti Communiste Bolivien, c'est la crise de fou rire assuree) et de Charles, poing leve en pleine manif du MBL (Movimiento Bolivia Libre). Ici, ca se fait a l'americaine: musique dans les rues, jeunes militants qui dansent avec des drapeaux et pleins de mecs deguises en poulet qui font la pub pour le MIR (Movimiento Izquierda Revolucionaria), sans compter le drapeau palestinien embleme de l'ADN, parti au pouvoir (Corruptos!) qui flotte sur tous les villages. Ca change du Perou ou les gars peignent sur les murs un vieux tracteur (ou une vache ou une flute de Pan) dans une case avec une croix dessus. "Marca la vaca": cette inscription sibylline mais o combien evocatrice accompagne le dessin rudimentaire et signifie pour tout bon quechua: "Vote donc pour le parti 'vache', un parti dont les ideaux agraires sauront te defendre en reclamant le partage noir dont tu reves et pour ce faire, applique une marque cruciforme a la plume dans la case correspondante de ton bulletin. T'as pige vieux crouton?". Moi, perso, je suis a mort pour le parti 'lama' et je pisse sur tous ces pourris de chez 'tracteur'. Mais revenons a Tarija, pour mieux en partir apres quelques jours, non sans avoir visite les bodegas de la region. Tarija est la capitale vinicole de la Bolivie et apres quelques degustations, le courage d'affronter la suite nous revient. C'est le coeur leger que nous nous elancons alors vers la frontiere argentine. Mais... Pas si vite mes cocos. Une derniere epreuve vous attend avant d'atteindre la terre promise de l'Argentine, ou les routes sont plates et les supermarches coulent a flot. On s'y croyait deja, mais c'etait sans compter la piste qu'il nous restait jusqu'a Bermejo, la ville-frontiere... Malgre un debut facile et agreable jusuqu'a un petit village appele La Momora, nous sommes confrontes a 6h du mat' le 2e jour a une trocha comme on les aime. Le paysage a bien chage depuis l'Altiplano et nous sommes maintenant au beau milieu d'une jungle touffue et brumeuse ou les moustiques attaquent serieux. Heureusement que le chemin est quasiment tout en descente. D'abord c'est rigolo car il a plu des hectolitres la veille (climat tropical et saison des pluies obligent) et c'est sympa de traverser des ruisseaux en s'enfoncant jusqu'aux sacoches et de glisser dans la boue rouge en s'y croyant a mort. En revanche ca devient moins marrant quand a force de cahots et de chocs, le porte bagage de Thomas explose en 4 morceaux differents, l'obligeant a rouler de maniere ridicule et peu pratique avec les sacoches de devant a l'arriere et vice-versa et en faisant des pointes pour ne pas frotter contre son attirail. C'est encore moins bidonnant quand ma roue arriere perd ses rayons, completements detruits, nous obligeant a demonter les pignons alors que le soleil tombe (et qu'on a jamais fait ca d'abord). En plus, lesdits pignons sont completement bouffes et je ne peux plus passer les vitesses sans que la chaine saute dans un grand "Cronch!"... Bref, les velos et leur mecanique fragile, pousses a bout par leur cavaliers sans peur et sans reproche ne tiennent plus le coup. Nous arrivons epuises a Bermejo, et cette fois c'est Thomas qui craque en hurlant et maudissant cette trocha pourrave... Nous nous appretons alors a passer la frontiere pour l'Argentine, avec des velos completement detruits, un moral proche du niveau de la mer mais gardant toujours le sourire, confiants en l'avenir. Et alors que nous contemplons le pont qui nous separe de la Terre Promise et que le soleil darde ses premiers rayons, notre coeur s'emplit soudain d'une intense emotion alors que nos yeux s'embuent de larmes. "Don't cry for me Argentina" me mumure Thomas a l'oreille. Je lui repond: "Reloj, deten tu camino." et en choeur, nous hurlons "Hasta Buenos Aires, siempre!" en chargeant a fond le guidon sur le pont vers les douaniers meduses. ---------------------------------------------------- Sur ce, la suite au prochain numero (quel suspense!). Je comptais ecrire un peu sur l'Argentine mais toute la newsletter que vous avez a present sous les yeux a ete effacee a la suite de la malediction de Rascar Capac qui nous poursuit jusqu'aux limites de la Bolivie. Donc j'ai ete oblige de tout reecrire et retaper, la rage au ventre. C'est vous dire la vie qu'on mene... Je vous quitte sur une pensee que je vous laisse le soin de mediter. Si le "Che" avait ete peruvien plutot qu'argentin (ce qui, somme toute eut ete possible), il aurait ete surnomme le "Pe" et le mythe aurait sans doute perdu de sa splendeur... Allez, amusez-vous bien en attendant la suite et n'oubliez pas de vous brosser les dents; nous vous embrassons tous autant que vous etes. Don Carlos y Don Tomas, vos deux heros preferes (apres peut-etre Donald et Johnny Halliday) et leur velos Jean-Mi "Esteban" de la Villehardiere et Paco "Zia" Franconvard des Mouleplates PS: J'en profite pour adresser publiquement mes feloches a Antoine et a Benjamin. Antoine, quel dommage que je ne puisse pas etre la, j'aurais bien foutu le feu comme d'hab, histoire de rigoler un coup.