NEWSLETTER 11 - 29 JANVIER 2000
Aguas Blancas - Frontiere Argentine 9:17 AM
- Allo, allo! Mere nandou a oisillon rouge, est-ce quevous me recevez? A vous.
- De oisillon rouge a Mere nandou, bien recu. Objectif en vue: 2 velos. Over.
- Roger, je copie! Arretez-les des qu'ils passent, je repete, arretez-les. Ce sont de dangereux clandestins boliviens, ordre de tirer a vue confirme. Over and out.
Meme endroit 9:19 AM - He vous deux, sur les velos tout petes avec les sacoches a l'envers, venez un peu par la... - Enfer Charles! Tout est foutu, nous sommes reperes,fonce! - Arretez-vous ou je tire!
- AAaargh! Thomas, je suis touche aux pignons! Je crois que c'est la fin de la route pour moi vieux frere... - Dis pas de conneries, petit! On va s'en tirer tu verras... Accroche-toi!
- Rascals! Ils sont passes! Helmut, prevenez la kommandantur! ...
------------------------------------------------------- Eh oui! Nous voila deja en Argentine et on peut dire que ca change pas mal de la Bolivie. D'abord, ils parlent n'importe comment le castechano. Haussement de sourcil dedaigneux de Thomas quand on lui demande "De donde sos vos ?" et vomissements plein de mepris pour ma part si on a le malheur de me dire "Veni, veni pa'ca...". Mais bon, a part ca on est chez nous et ca sent le luxe et l'opulence: Peugeots a gogo, saucisson et yaourts dans les supermarches, ouioui les supermarches - climatises et tout (on peut pas dire que le Peroubolivie soit le royaume Carrefour). La route est plate et chaude, au revoir les Andes, les lamas, le pull et les pistes defoncees et bonjour le goudron, les bananeraies et les stations services 4 etoiles (sandwich, biere et douches a volonte). En plus, au fil des etapes, nous trouvons un soudeur alu pour le porte-bagage de Thomas, des bonnes pedales pour remplacer mes bouts de ferrailles rouilles et coinces et un cycliste pro a Salta qui accepte me vendre ses pignons Campagnolo, introuvables dans tout le continent autrement. J'ai meme un pneu arriere tout neuf, bref, les velos vont beaucoup mieux. A San Pedro de Jujuy, nous rencontrons la famille Artur de la Villarmois, de noble et bretonne extraction, ravie d'avoir affaire a des cousins de France (bien qu'ils n'aient plus de francais que leur nom). Famille reine de l'eau gazeuse (le celebre Soda Artur, fameux de Nueva Oran a San Salvador de Jujuy), ils nous invitent chez eux a diner et nous offrent meme une chambre d'hotel. Il faut dire que depuis peu, flotte fierement en poupe du navire l'etendard tricolore fabrique en Bolivie, affichant ainsi plus ou moins clairement notre nationalite aux yeux de tous. Les quelques francais que nous croiserons nous arretent, les bresiliens hurlent "campeoes do mundo!" au passage et les paraguayens nous engueulent parce que "il est pas du tout comme ca le drapeau paraguayen! Le rouge, il est en bas d'abord!". Nous faisons une halte decompression a Salta; sorties, rencontres avec la jeunesse locale et experience culturelle intense a glandouiller et a manger des yaourts a s'en faire peter la panse. Apres une semaine de rien (mais on s'est fait plein de copains et j'ai ecrit la derniere niouzeletter), depart redoute pourla traversee du Chaco... Tatata! CHACO, un desert herbeux dont le seul nom suffit a faire fremir les plus temeraires. Un nom qui remplit d'effroi l'automobiliste contraint de traverser ces plus de 800 kilometres de vide absolu, sous une chaleur qui peut atteindre plus de 50 degres en janvier (info recoltee sur le terrain). Les seuls ilots de vie que nous traverserons auront pour nom "Pampa del Infierno", "Pozo del Miedo", "Monte Quemado" ou "Rio muerto" (pour les hispanophobes: "plaine de l'enfer", "puit de la peur", "mont brule" et "riviere morte"): bref la joie, l'allegresse et la bonne ambiance "Famille Adams". Autant vous dire qu'on faisait pas les fiers a la sortie de Salta... Enfin, on est verni, car justement, pendant la traversee et mis a part le premier jour a 46 degres, nous beneficions d'une sympathique couverture nuageuse constante et d'une douce temperature (on a meme mis un pull a un moment, la folie!). Non, le seul ennemi c'est le vent, qui, quand il souffle en rafales qu'a cote Roissy au Noel 99 ca fait doucement rigoler, nous fait quasiment reculer et nous contraint a ravaler nos larmes en affrontant la tempete en foncant a plus de 7kmh (contre une moyenne horaire normale de 27/28). La route est tracee a la regle (si ca vous amuse vous pouvez le constater sur une carte de l'Argentine, c'est la route 16) et nous reserve des heures de plaisir intense a rouler droit devant soi. 1er tournant apres 850 bornes: "Oh, oh... Thomas... Ca tourne la, ooh oh!... Je suis coince, Thomas! Aide-moi!! Oooohhh! Aaaah le fosse, nooon!"... En plus c'est desert, nous bavardons gaiement en cheminant cote-a-cote, ecoutons de la musique, mangeons sur les velos et -comble du luxe- nous pouvons meme lire tout en pedalant! Le voyage est agreablement rythme par une bonne vingtaine de cadavres de vaches, devores par des vautours noirs qui apportent au bas-cote une touche pittoresque tres "nature et decouverte", fraiche et campagnarde, du gout le plus sur. D'ailleurs l'embleme de cette partie du voyage est Gerard, un crane de vache trouve sur le chemin et qui decore de maniere fort agreable le porte-bagage de Thomas. Nous arrivons sans encombre jusqu'a Posadas, a la frontiere paraguayenne. Les journees argentines sont ponctuees d'arret-mate (ce drole de the qu'on boit a la bombilla, une paille/passoire en fer), de pauses-alfajor (biscuit fourres a la confiture de lait) et de stop-churrasco, histoire de s'enfiler un enorme steak au bbq. Nous franchissons un jour le pont de Corrientes, pris par les grevistes qui en interdisent l'acces aux vehicules (mais pas aux aventuriers intrepides)... 2 jours plus tard, nous apprenions qu'une emeute sur ce meme pont venait de faire un mort. D'autre part, et ce sans aucun rapport, Thomas developpe de curieux champignons aux pieds, genre "amanites phalloides entre les orteils". Ils seront vite soignes grace a notre trousse de secours miracle, mais lui vaudront pour longtemps le surnom affectueux de "Tom-les-bolets-plantaires", c'est rigolo mais c'est salaud. Puis, paf! Encore une frontiere, et cette fois, c'est le grand pas dans l'inconnu alors que nous hissons nos velos dans un petit bateau pour franchir le Rio Parana. Le Paraguay: le point d'interrogation du voyage, l'inconnue du parcours. Les argentins nous ont prevenus: le Paraguay c'est hyper dangereux et la population est a moitie indienne (sic) d'ou flippe totale. Bon, on commence quand meme a avoir l'habitude: a chaque frontiere on nous met en garde contre le pays qui suit en nous disant qu'on va y laisser notre peau. Sur le bateau, quelle joie pour nous de renouer avec l'exotisme d'indiens qui parlent guarani en nous devisageant. Hourrah! Nous sommes redevenus des gringos aux cheveux jaunes et aux yeux-comme-le-ciel. Les Paraguayens nous accueillent a bras ouvert, tout en nous demandant pourquoi on vient au Paraguay vu que ya rien au Paraguay. Les gens ici ne sont pas tous indiens et basanes et on trouve vraiment de tout: allemands, coreens, japonais, libanais, etc. Nous ne sommes pas si exotiques que ca finalement. Mais on trouve ca bien sympa malgre tout et les reductions jesuites (Jesus, Trinidad) sont en tout cas bien mieux conservees et impressionnantes ici qu'en Argentine (San Ignacio Mini). En effet, avec nos soutanes, deguises en Robert DeNiro, nous explorons de fond en comble les territoires missionnaires et jesuitiques, tout en bataillant ferme, rapiere au poing et crucifix en bandouliere, contre les vilains bandeirantes bresiliens venus capturer nos gentils copains guaranis, les salauds. Puis nous traversons les plaines du Sud pour arriver a Asuncion et c'est bien joli les grandes etendues vertes d'ou emergent ca et la un palmier ou un troupeau de vaches seduisantes, a la peau de soie et aux longues oreilles charmeuses et pendantes. Les gens croises sur le chemin sont charmants et nous invitent tous a boire un bon terere, sorte de mate glace, qui fait du bien sous le soleil. Dans la journee, outre nos bouteilles d'eau, il n'est pas rare que nous nous enfilions bien 4 ou 5 litres chacun de Coca/Fresca pomelo/Simba pina, tant la chaleur est intense ici. Nous apprenons quelques mots de guarani au passage, vu qu'ici, on l'apprend obligatoirement a l'ecole. Entre eux, les gens parlent tres souvent un melange d'espagnol et de guarani qui nous donne personnellement la nausee. Ca fait toujours drole de voir cette vendeuse d'origine coreenne qui parlait guarani avec sa copine dans une librairie d'Asuncion. A nous donc les phrases super utiles genre "Rohayhu kuna pora" ("O belle inconnue, quand je vous vois mon coeur fremit") ou "M'bae chapa" ("Ca va? Moi ca va, mais la petite derniere me fait une sale varicelle"). Nous arrivons donc ravis et heureusement surpris de notre traversee a Asuncion, ou nous attendent "Tante Ines" et "Oncle Henri" Bergeron, depuis 20 ans au Paraguay et plus encore en Amerique Latine: une vraie mine d'informations. Et en plus il a de l'humour, le bougre! Accueil extra, meme si la ville n'est pas top folichonne, on a eu un bon temps... enfin je veux dire qu'on l'a passe bien... (eh oui, pas toujours facile de s'exprimer quand on est cosmopolite, polyculturel, pluriethnique, multilingue, proteiglotte et citoyen du monde comme nous). Diners en grande pompe au club hippique ou chez les plus celebres familles de la communaute internationale du Paraguay ou les anciens racontent leurs histoires de machin qui est un SS exile ou de truc, le fils du nazi untel - tres rigolo. Et puis, c'est bien sur la Noel, fetee dans l'intimite etant donne qu'il ne vaut mieux pas trop sortir le 24 a minuit, vu que les flics en profitent pour decharger leur arme, bourres comme des polaks. La famille Bergeron nous offre une belle guampa, la corne de vache traditionnelle pour boire un bon terere. Nous avons meme chante dans la chorale a la messe de Noal en francais. Enfin... nous ETIONS la chorale, tous les deux. Episode difficile du voyage, mains moites et jambes flageolantes pour un resultat dont tous garderont un souvenir... emu. Thomas craque sous la pression et entonne l'"Alleluia" de Haendel au lieu du "Divin Enfant" marque sur la feuille et ma voix deraille en plein solo de "Venez Divin Messie". Mais la foule endormie a deja, du moins en pensee, quitte la salle. Un grand merci a Henriette qui se reconnaitra (c'etait la seule a chanter). Nous repartons d'Asuncion, capitale la plus chaude, brulante, etouffante du continent, direction Ciudad del Este, celebre repaire de mafieux et de contrebandiers. Route moins jolie et enhousiasmante qu'avant, surtout parce qu'il pleut a verse. Chaque jour, c'est la course contre les orages qui font puer la basket et moisir la sacoche - bienvenue a Glauqueland. Nous arrivons neanmoins sans encombre a la frontiere du Bresil, apres une traversee rapide de Ciudad del Este, aux trottoirs encombres de vendeurs d'habits et d'electronique et aux paves jonches de cartons. Nous voici donc au Bresil, dont le tampon sur le passeport est minable ceci dit en passant, a Foz do Iguacu. En plus c'est carrement les boules: on parle pas la langue... Nous posons les velos a Foz, dans une auberge de jeunesse, la ville est un peu triste -il pleut- et nous sommes le 30 decembre 1999. Dans nos esprits affutes comme des lames de rasoir, germe alors une idee carrement demente et vachement chouette: pourquoi ne pas sauter dans un bus pour Rio de Janeiro et passer le dernier reveillon avant la fin du monde avec 4 millions de personnes? Hein? Alors pourquoi pas? C'est ainsi que nous nous retrouvons, tous les deux au milieu de la foule de la gare rodoviaire de Rio, avec pour seul bagages un sac plastique noir de supermarche contenant deux (2) brosses a dents, deux (2) maillots de bain, un (1) calecon pour deux (2) et deux (2) Tshirts de marque BERMUDES (R) en Coolmax (tm). - "Charles, j'ai peur... - Moi aussi tu sais... - Oui mais... - Non! N'y pense meme pas! - Pourtant... - Je sais mais non! - Ah... Alors, on fait quoi?" Si toi aussi, comme nos deux heros d'ailleurs, tu aimerais bien savoir ce qu'on va bien pouvoir faire a Rio de Janeiro, sans guide, plan, hotel, amis, foi ni loi, alors ne manque pas le prochaine episode de la niouzeletter intitule "Cariocas e futebol, tudo bem"... Bisous Charles et Thomas, aventuriers des pignons et citoyens du monde. Jean-Mi et Paco, velos.