Lettre ouverte au ministre de la Justice
Monsieur le Ministre,
Par suite d’un jugement rendu par la Cour d’Appel de Rennes
dans une affaire dite de diffamation m’opposant à Monsieur Laurent Jutel,
je me trouve aujourd’hui, président statutaire de l’Union démocratique bretonne
(UDB) et maire-adjoint de Lorient, dans une situation matérielle des plus
précaires. En effet, mon compte personnel vient d’être saisi et je suis sous
la menace immédiate d’une saisie de mes biens personnels.
A l’origine de cette affaire il y a l’incendie volontaire
à Lorient, le 10 août 1999, du stand que les Presses Populaires
de Bretagne, maison d’édition de l’UDB (parti politique déclaré
depuis sa fondation en 1964), tenaient tout à fait légalement en
marge du Festival interceltique. Vers 19 heures, au milieu des badauds,
quatre individus encagoulés ont surgi, ont aspergé d’alcool à brûler
le stand des Presses Populaires de Bretagne, derrière lequel
se trouvaient deux militants de l’UDB, et y ont mis le feu avant de s’enfuir.
Les quatre auteurs de cette action-commando ont été identifiés,
traduits en justice et condamnés, après avoir reconnu les faits, par
le Tribunal Correctionnel de Lorient le 1er octobre 2001.
Entre temps les quatre auteurs de l’incendie volontaire
de Lorient avaient reçu le soutien public de Monsieur Laurent Jutel,
connu pour ses écrits dans la presse d’extrême droite. Afin de vous
éclairer sur la personnalité de Monsieur Laurent Jutel, vous voudrez
bien trouver ci-joint un article de ce monsieur paru dans la revue
nationaliste « Gwenn ha du ».Vous y lirez notamment des propos
xénophobes, injurieux et appelant à la violence, caractéristiques
de la prose fascistoïde qui sévit en Europe depuis le début du 20ème siècle :
« C’est fou ce que certains peuvent accumuler comme tares »
« bande de ploucs français »
« il ne serait pas négligeable de faire le ménage au sein de
l’Emsav… avant de s’attaquer à l’Etat français »
« bande de tordus »
« du Parti national breton aux prises d’armes des Volontaires
du Front de Libération de la Bretagne qui sont nos glorieux
précurseurs, et dont nous sommes fiers d’être les héritiers directs »
« notre adversaire premier : l’Etat français »
Et Monsieur Jutel de citer parmi les « héros » de la Bretagne
: « Debauvais, Mordrel, Lainé ». Autant d’individus dont les historiens
ont clairement établi qu’ils furent, au même titre que les nervis du PPF
de Doriot ou du RNP de Déat, les meneurs du parti pro-nazi en Bretagne
pendant la Seconde guerre mondiale.
Soutien volontaire et déclaré des quatre incendiaires
encagoulés de Lorient, Monsieur Laurent Jutel a tenu à transmettre
au journal « Breizh-Info » un communiqué dont plusieurs extraits
ont été publiés le 24 septembre 1999. Monsieur Jutel y écrit notamment
ceci : « Contrairement à ce que prétend C. Guyonvarc’h, jamais la vie
des personnes présentes derrière le stand ni celle des festivaliers
n’a été mise en danger ».
Sur la foi du témoignage des deux militants de l’UDB qui
tenaient le stand des Presses Populaires de Bretagne au moment de
l’agression et qui ont reçu de l’alcool à brûler sur leurs vêtements,
j’ai jugé l’affirmation péremptoire et catégorique de M. Jutel,
sans aucune forme de conditionnel, tout à fait inacceptable.
J’ai donc demandé, en ma qualité de porte-parole et président
statutaire de l’UDB, tenu au devoir de garantir la sécurité de
mes camarades, un droit de réponse au journal « Breizh Info ».
Droit de réponse que vous trouverez ci-joint. M. Jutel a jugé
diffamatoire une phrase extraite de mon texte :
« On me permettra d’ajouter que M. Jutel s’exprime d’une façon
si péremptoire qu’on peut croire qu’il fut un témoin actif ».
La forme interrogative de cette phrase est à opposer à la forme
catégorique et péremptoire du propos de M. Jutel, soutien
volontaire et déclaré de quatre incendiaires encagoulés, ce qui
n’est pas en soi une preuve de moralité.
Saisi de la plainte en diffamation de Monsieur
Laurent Jutel, intérimaire de son état (et disposant néanmoins
de suffisamment de ressources pour ester en justice à deux
reprises en quelques mois !), le Tribunal de Grande Instance
de Rennes l’avait débouté et condamné aux dépens par un arrêt
rendu le 7 mai 2001. Mécontent de ce jugement, il fit appel.
Or, la Cour d’appel de Rennes a cassé le jugement
du Tribunal de Grande Instance. Non content de contredire
le Tribunal de Grande Instance, le président de la Cour
d’appel de Rennes, Monsieur Jean-Paul Dabosville, a cru devoir
m’infliger le paiement d’une somme de 4.500 euros à titre
de dommages-intérêts et d’une indemnité de 1.219 euros par
application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Résumons les faits :
1) le 10 août 1999 à Lorient, quatre individus encagoulés
incendient volontairement, au milieu des badauds, le stand des
Presses Populaires de Bretagne, maison d’édition de l’UDB, que
tenaient deux militants,
2) dans les semaines qui suivent les quatre incendiaires
encagoulés reçoivent le soutien d’un énigmatique « comité »
dont l’expression publique est assurée par M. Laurent Jutel.
Dans un communiqué M. Jutel tente de justifier l’action
violente de Lorient en me reprochant des écrits
« mensongers et diffamatoires » (sic) qu’il s’avère incapable
de produire et il affirme de façon catégorique, sans aucune
forme de conditionnel, que « jamais la vie des personnes
présentes derrière le stand ni celle des festivaliers n’a été
mise en danger ». Ces propos sont reproduits dans le journal
« Breizh-Info » du 24 septembre 1999,
3) tenu par mes responsabilités de porte-parole et président
statutaire de l’UDB au devoir d’assurer la sécurité de mes
camarades, je demande un droit de réponse au journal
« Breizh-Info », que j’obtiens. En réponse à l’affirmation
catégorique de M. Jutel, j’interroge le lecteur : « On me
permettra d’ajouter que M. Jutel s’exprime d’une façon si
péremptoire qu’on peut croire qu’il fut un témoin actif »,
4) M. Jutel se saisit de cette phrase pour me poursuivre
en diffamation à titre personnel et poursuivre le directeur du
journal « Breizh-Info », M. Ménard,
5) Le 7 mai 2001 le Tribunal de Grande Instance de Rennes
déboute M. Jutel de ses demandes, met à sa charge les dépens
et alloue aux défenseurs, M. Ménard et moi-même, la somme de
8.000 francs par application de l’article 700 du nouveau
code de procédure civile,
6) M. Jutel interjette appel,
7) Le 5 mars 2002, M. Jean-Paul Dabosville, président de la Cour d’appel
de Rennes, assisté de Mmes Marie-Hélène L’Hénoret et Anne Tézé,
conseillères, casse le jugement du Tribunal de Grande Instance de Rennes
et me condamne, ainsi que M. Ménard, au paiment d’une somme de 4.500 euros
à titre de dommages-intérêts et d’une indemnité de 1.219 euros par
application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il va de soi que j’ai fait appel de ce verdict scandaleux
devant la Cour de cassation en formant un pourvoi par l’intermédiaire
de Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation.
Cependant, les subtilités du droit français - incompréhensibles au commun
des mortels - font qu’au civil, contrairement au pénal, la condamnation à
verser dommages-intérêts et indemnité est immédiatement exécutoire
sans aucune possibilité de recours. Devais-je m’y soumettre et
reconnaître je ne sais quelle faute à l’endroit de M. Jutel,
l’admirateur des « Debauvais, Mordrel et Lainé », le soutien volontaire
et déclaré de quatre incendiaires encagoulés ?..
Condamné à titre personnel à verser à M. Jutel la somme
effarante de 7.186,20 euros, j’ai refusé de me soumettre à l’inacceptable,
ce qui me vaut la menace de me retrouver dépossédé de mes biens après que
mon compte personnel eut été saisi le 6 août 2002.
Je dois vous dire, Monsieur le Ministre, que je ne suis pas
dupe quant aux véritables intentions de M. Jutel et de ceux qui l’ont
aidé à payer avocat et frais de procédure par deux fois. Si la plainte me
visait personnellement, c’est évidemment au porte-parole d’un parti
politique breton démocratique qu’on en veut, un parti qui défend
l’idée d’une société bretonne ouverte et tolérante et qui agit en
conséquence. Sans doute a-t-on jugé dans les milieux qui appuient
M. Jutel qu’en visant l’homme on affaiblirait plus sûrement le parti.
Dans mon cas personnel, voilà plus de vingt ans que je combats
le racisme, la xénophobie et l’apologie de la violence sous toutes leurs
formes, qu’ils se revendiquent abusivement
de la France, de la Bretagne ou de quelque autre territoire que ce
soit (mon premier engagement militant fut contre le régime d’apartheid
en Afrique du Sud et en Namibie, alors occupée par l’armée afrikaner
de Pieter Botha). Aucune menace ne me fera dévier de ce combat vital
qui est permanent car la démocratie et les libertés, jamais acquises,
ne se défendent pas toutes seules. Je ne me plierai donc pas aux
injonctions de Monsieur Jutel, fût-ce au prétexte d’un jugement qui
lui est scandaleusement favorable et qui rappelle les heures sombres
de la « Justice » de Vichy.
Qui rappelle les heures sombres de la « Justice » de Vichy ? ? ?
Oui, dussé-je vous choquer, car il est absolument inadmissible qu’une
cour d’appel casse le jugement d’un tribunal de grande instance dans
l’intention de donner entière satisfaction à un individu dont les écrits
et son attitude de soutien aux quatre incendiaires encagoulés de Lorient
témoignent qu’il hait la démocratie et encourage le recours à la violence.
Les événements du 14 juillet dernier sur les Champs Elysées à
Paris ont montré, s’il en était besoin, à quelles extrémités pouvait mener
la propagande haineuse de l’extrême droite xénophobe et vindicative.
Il n’est pas acceptable que par son comportement le président d’une
cour d’appel contribue à renforcer ce courant extrémiste.
Aussi j’attends de vous, Monsieur le Ministre de la Justice,
que vous mettiez un terme immédiat à ce scandale en dénonçant le jugement
de la Cour d’appel de Rennes et en me rétablissant dans mon droit et mes
intérêts avant que je ne me retrouve dépossédé de mes biens. Je ne parle
point d’honneur car je ne l’ai jamais perdu.
Je vous demande aussi, Monsieur le Ministre de la Justice,
d’ouvrir une enquête sur les raisons qui ont pu conduire le président
d’une cour d’appel à rendre ce verdict qui fait honte à la République.
Car ce que je subis aujourd’hui est révélateur d’une situation malsaine
qui ne doit pas perdurer.
Si mes demandes demeuraient sans réponse et si la procédure
de saisie de mes biens devait se poursuivre, je vous informe que
j’entends entamer une grève de la faim illimitée devant le Parlement
de Bretagne où siège la Cour d’appel de Rennes et saisir la Cour Européenne
des Droits de l’Homme à Strasbourg.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma
considération très distinguée.
Christian GUYONVARC’H
Porte-parole et Président statutaire de l’Union démocratique bretonne
Maire-adjoint de Lorient