L'instinctothérapie, élixir de jeunesse?

par Guy-Claude Burger

(tiré à part de la revue "Charme et Elégance", 1974) (revue suisse?)

(Guy-Claude Burger, né en 1934, bachelier classique, licencié ès physique et mathématiques, premier prix de violoncelle lauréat du Concours international d' exécution musicale de Genève, vous parle de ses expériences inédites en matière de nutrition: il vous donne ici un aperçu de sa nouvelle conception de l'écologie alimentaire, qui rattache les maux de l'humanité à ses erreurs ancestrales face aux lois élémentaires de la biologie.)

Rassurez-vous, je ne vais pas vous égarer dans les terrains vagues de l' alchimie. Bien au contraire, mon but premier est de garder les pieds bien sur terre. C'est d'ailleurs une histoire qui commença plutôt mal: par un cancer. Avec tout ce que cela représente d'angoisse, d'opérations, de rayons X, de désespoir... J'avais alors 26 ans. Un peu trop tôt pour démissionner. Sans compter une famille en gestation; je n'avais pas le droit de fermer les yeux sur l'avenir, je devais choisir de lutter. De toutes mes forces. Car enfin, était-il normal de crever avant d'avoir eu le temps de vivre, ou étais-je la victime d'un maléfice quelconque? Fallait-il considérer le cancer comme un risque indissolublement lié a la condition humaine, ou au contraire comme le résultat de quelque erreur face aux lois de la biologie?

Je décidais de passer tout en revue: le surmenage, la respiration, le sommeil, le moral, la vie sédentaire, sans oublier les connaissances médicales sur le sujet... Rien de tout cela ne m'apporta grand-chose. Pour le moins, je n'y retrouvai pas les kilos perdus. Il restait l'alimentation, mais que pouvais-je me reprocher: je sortais d'une période de diététique, régime maigre protecteur pour le foie, laitages, pain complet, crudités. Cinq ans d'ascèse mal récompensés... Le médecin même qui m'avait prescrit ce régime a la suite d'une jaunisse pensa me réconforter: «Les connaissances ont progressé entre-temps, votre maladie est probablement en relation avec la privation totale de graisse.» Il fit de son mieux pour compenser mes carences et c'est peut-être à lui que je dus un premier sursis.

Cependant, l'insécurité resta ma compagne assez longtemps pour me faire un peu réfléchir: la science est en éternel progrès, soit. Autant dire que ce que l'on n'a pas encore découvert peut receler d'autres erreurs aux conséquences tout aussi funestes. Je commençai à perdre cette confiance puérile que le civilisé moyen met dans le savoir médical, savoir d'ailleurs fort mince en ce qui concerne le cancer, et décidais de repartir à zéro.

Mais où trouver un zéro en matière de médecine et de diététique? Cette dernière est le parent pauvre par excellence de la médecine, peut-être à juste titre, car elle traîne avec elle un ramassis de notions plus ou moins vagues ou fanatiques qui n'ont pas grand chose à voir avec une science exacte. Ou alors on en fait un problème de calories et de machine a vapeur, et l'on perd en route une foule d'impondérables.

Le corps humain est plus compliqué qu'une locomotive. A en croire les découvertes de la biologie moléculaire, le travail biochimique qui s'y déroule dépasse probablement, par sa complexité, les possibilités d'entendement du cerveau humain. En fait, rien d'étonnant à cela: le cerveau sort du vivant, il n'y a aucune raison pour que sa capacité d'analyse soit en mesure d'en pénétrer tout le mystère. Non, ce zéro, il fallait le chercher ailleurs, dans des réalités biologiques globales, et d'abord dans l'observation du phénomène vivant.

Lorsque vous jetez un morceau de viande à votre chat, avez-vous remarqué qu'il ne le voit parfois même pas: il le repère par l'odorat. A y regarder de près, on peut constater que tous les animaux sont attirés vers leur nourriture d'abord par l'odorat. Et n'ayant-pas assez d'intelligence pour se forcer à avaler ce qui est mauvais, ils n'avalent évidemment que ce qui plaît à leur palais. De plus, leur nez et leur palais sont ainsi faits qu'ils trouvent attirants dans la nature seulement les aliments utiles à leur organisme; cela découle des lois les plus élémentaires de la sélection naturelle: l'animal qu'un instinct détraqué attirerait vers des aliments nuisibles se suiciderait ou se mettrait en état d'infériorité, faisant place peu à peu a ses congénères mieux doués.

Mais qu'en est-il de l'homme? Il a hérité son organisme du monde animal, on pourrait s'attendre à ce qu'un instinct alimentaire s'y fût aussi inscrit génétiquement, élaboré au contact d'un milieu alimentaire naturel, et héritier d'une époque où l'intelligence ne permettait pas encore de savoir ce qui était utile ou nuisible. On enseigne doctement que cet instinct s'est perdu au profit de la raison, ou par suite d'une prétendue altération du sens du goût. C'est là qu'on oublie l'essentiel: l'homme est doué d'intelligence. Car l'animal qui trouve un aliment insipide ou mauvais ne le mange simplement pas; il obéit à son instinct. L'homme, lui, invente une recette de cuisine.

Il peut ainsi absorber avec délices ce que son corps aurait refusé sous forme brute. Il peut tromper les mécanismes instinctifs de son palais en leur présentant n'importe quoi sous une forme revue et corrigée, à laquelle ils n'ont aucune raison biologique d'être adaptés. Il perd ce guide et cette protection irremplaçables qui garantissent l'équilibre et la santé au monde sauvage. En trompant son propre instinct, il peut absorber avec délectation ce qui lui fait du mal: ne serait-ce pas là le sens premier de la gourmandise, caché derrière des millénaires de gastronomie et de tabous alimentaires?

Repartir à zéro, ce serait alors retourner à une alimentation telle que pouvaient se la procurer nos ancêtres avant le règne de l'artifice, tels les prédécesseurs de l'homo sapiens ou leurs ancêtres plus ou moins simiesques. Ce serait remettre dans le moteur, construit encore aujourd'hui selon des plans génétiques archimillenaires, le carburant d' origine. Qu'adviendrait-il, dans ces conditions, du moteur humain? A-t-il eu le temps de s'adapter au nouveau carburant, ou est-il encore adapté a l'ancien? Car il faut des centaines de milliers d'années pour réaliser une véritable adaptation génétique à ne pas confondre avec une simple accoutumance aux inconvénients d'un carburant inapproprié.

Il n'y a relativement pas si longtemps que l'homme sait utiliser le sel pour transformer sa nourriture. Il y a peut-être dix mille ans qu'il a pu s'approprier le lait des chèvres ou des vaches. Il lui faut également l'intelligence conceptuelle pour simplement mélanger ou assaisonner ses aliments. A travers ces artifices, si coutumiers qu'on ne songe guère à les remettre en question, les substances alimentaires se transforment non seulement dans leurs qualités d« goût, mais encore dans leurs structures moléculaires, et cela de la façon la plus hétéroclite; si bien qu'elles pourraient avoir toutes les raisons de provoquer également les troubles les plus hétéroclites dans le métabolisme de leurs consommateurs.

En fait, le problème est d'un ordre de complexité tel que seule l'expérience peut y apporter une réponse valable. L'action de la chaleur est anarchique; les réactions chimiques qui se déroulent dans une simple casserole ou même dans un saladier restent difficilement prévisibles. Quant à la panoplie des molécules apportées par le lait et adaptées par définition à l'organisme du veau, rien ne garantit qu'elles ne réservent pas quelques mauvaises surprises aux enzymes humaines. La théorie reste sujette a caution aussi longtemps qu'elle ne peut tenir compte de toutes les données d'un problème: le phénomène vivant lui échappe, tant par l'échelle infinitésimale des mécanismes génétiques qui le régissent que par l'infinité des facteurs en présence.

Pour en savoir davantage, il me fallait donc faire l' expérience: vous me voyez convaincre ma femme de débarrasser la cuisinière, de vider les armoires a provisions et les boites à épices, de décommander le laitier, pour retourner aux aliments strictement naturels, ou plutôt «originels», tels que les donne la nature sans nécessiter l'artifice intelligent. Un sacré coup pour son amour-propre de cordon-bleu...

Heureusement, les premiers résultats furent vite convaincants: adieu la constipation, les lourdeurs digestives, la somnolence après les repas, les brûlures d'estomac. D'autre part, plus d'épluchage, plus de problèmes de menus, plus de travaux de cuisine, presque plus de vaisselle; de quoi faire réfléchir la ménagère la plus récalcitrante. Et les enfants libres de manger ce qu'ils veulent, autant qu'ils en veulent, rien que ce qu'ils veulent, sans les inévitables « finis ta soupe, sinon tu n'auras pas de dessert »... Ils semblaient ravis du changement de décor; il faut dire qu'une table « originelle » bien achalandée vaut bien les tours de passe-passe des meilleurs cuisiniers. Surtout qu'avec le temps, on y redécouvre des goûts qui dépassent par leur profondeur et leur pureté les jouissances de la cuisine la plus raffinée: la même intensité que ces goûts qui ont marqué notre enfance, comme la première fraise au printemps ou la première orange après la guerre.

Et l'on ne mange que ce qui est bon, c'est justement cela obéir à l'instinct: ce qui est bon au palais est utile au corps avec les aliments originels uniquement. Vous me direz qu'une entrecôte aux morilles ou qu'un dessert Chantilly peuvent pourtant fort bien s'introduire dans votre tube digestif sans que la délectation de votre palais ne sache vous mettre en garde contre la crise de foie ou les autres complications qui les attendent a la sortie. Justement cela démontre que ces mécanismes gustatifs ne fonctionnent correctement qu'avec les aliments originels, auxquels ils ont pu s'adapter pendant des millions d'années d'évolution. La plus belle mécanique ne peut accomplir sa mission que dans le cadre pour lequel elle a été construite.

Cet instinct alimentaire s'avéra infaillible dans mille expériences de toutes sortes. Au point même de faire disparaître la douleur ! Je vois toujours ma fille aînée, la peau de la main restée collée contre le fourneau, me répondre: "Non, je ne sens plus rien." Étrange phénomène: la douleur inflammatoire que l'on croit inévitable n'est qu'une conséquence du déséquilibre alimentaire. Je pus le confirmer plus tard en observant des cancéreux qui, ne réagissant plus à la morphine, cherchèrent l'apaisement dans l'alimentation originelle en quelques jours leurs douleurs atroces n'étaient que mauvais souvenir.

Il ne fallut pas longtemps pour que de nombreux amis, convaincus par la mine de mes enfants, la remontée de mon poids, les changements évidents de la santé familiale, ne se décident a nous suivre. Puis de nombreux malades, souvent considérés comme incurables, se risquèrent aussi a l'expérience. L'instinctothérapie était née: l'instinct olfactif et gustatif permet d'apporter à l'organisme exactement les substances nutritives ou médicinales qui lui sont nécessaires, en tenant compte non pas d'un diagnostic extérieur, mais de l'état effectif connu par l'intérieur; de plus, l'absence de toute perturbation digestive ou métabolique réveille les mécanismes de désintoxication, qui seuls sont capables de régénérer le «terrain» et d'assurer une guérison véritable.

Des faits toujours plus nombreux vinrent convaincre tous les sceptiques de mon entourage -y compris ma belle-mère- que le moteur humain d'aujourd'hui est encore construit pour le carburant d'autrefois. L'un des plus marquants: ma femme qui se relève juste après ses accouchements, s'occupe seule de ses bébés et, reprenant aussitôt son travail, soulève sans peine des caisses de quarante kilos. ..

Les maladies les plus diverses: diabète, épilepsie, leucémie, cancer, névroses, artérioscléroses infarctus, cataracte, de même que les troubles plus courants, infections, allergies, rhumes, bronchites, maladies d'enfants, insomnies, cauchemars, indigestions, migraines, acné, cheveux gras, calvitie, folliculite, surmenage, stress, distraction, nervosité, dépression, obésité, etc., etc., guérirent comme par enchantement. La plupart des maux de l'humanité nous apparaissent aujourd'hui comme intrinsèquement lies aux perturbations du métabolisme ou du système nerveux par des substances alimentaires soit excédentaires, soit dénaturées et étrangères aux données biochimiques de l'organisme. Or, des substances qui ne se métabolisent pas correctement encrassent peu à peu l'organisme, infiltrent les tissus, font dégénérer les cellules, bref, provoquent un vieillissement prématuré: la dénaturation culinaire superpose donc une sorte de vieillissement pathologique au vieillissement biologique prévu par la nature. Des substances perturbant le fonctionnement de la cellule nerveuse peuvent encore entraîner toutes sortes de dérèglements au niveau des centres cérébraux, et porter une responsabilité dans les multiples névroses ou psychoses qui font du cerveau cette merveilleuse machine cybernétique, support de notre esprit la proie des psychiatres.

L'homo sapiens, en altérant sa nourriture pour le caprice de ses papilles gustatives, aurait ainsi altéré du même coup son organisme, compromis sa condition de vie, voire dégradé les données de son hérédité.

Une chose me paraît pour le moins certaine: c'est qu'il fut le premier animal assez intelligent pour être vraiment bête...

Quant à ceux qui me demandent si mon alimentation originelle est un élixir de vie éternelle, je pourrais leur répondre que j'ai nettement rajeuni, que pour la première fois de ma vie ma musculature s'est normalement développée, même sans entraînement physique, que je ne suis plus livide à faire peur, que je bronze sans plus penser aux coups de soleil, que mes cheveux ont repousse, que j'ai perdu les poils inesthétiques sans crème dépilatoire, que je me sens un dynamisme à tout casser, de quoi vivre jusqu'à 120 ans au moins... Par souci d'objectivité, je leur demanderai plutôt d'attendre un peu: pour leur répondre sans risque d'erreur, il faut évidemment que je sache d'abord à quel âge je serai mort.

Eclépens, le 6 février 1974

Guy Claude BURGER