sandro ricaldone
webpage LE LONG VOYAGE par Michèle Bernstein Tout le monde connait
Asger Jorn. C'est le meilleur des peintres. En plus de quoi, il a tout fait. Des
merveilles: c'est-à-dire, partout, des innovations. On commence même à
découvrir, et desormais les attardés seront forcés d'y venir vite, sa
contribution decisive au nouvel urbanisme et à la création d'une topologie
situationniste. Sans compter la peinture détournée, qui est bien autre chose
que la peinture ordinaire; quelques centaines de pages d'études esthétiques,
dont l'esthétique ne se relevera pas; la plus grande céramique du monde. Et,
naturellement, la tapisserie. Asger Jorn n'a jamais cessé de sortir de la
peinture, par tous les cotés. C'est ainsi qu'il a
tenu à porter une modernisation révolutionnaire jusque dans la technique
artistique la plus traditionnelle, la plus désuète, au moment même ou, dans les
techniques prétendues les plus avancées de la peinture, nous voyons la basse
tradition christiano-féodale s'exprimer sans honte, la réaction relever la
tête. Le travail de Jorn
dans la tapisserie doit beaucoup aux révélations initiales, et depuis à la
collaboration, de Pierre Wemaëre. On s'étonne, d'ailleurs, que l'importance de
Pierre Wemaëre en cette matière soit loin d'être aussi largement reconnue qu'il
serait légitime. C'est en effet dès 1938, au cours d'un voyage qu'il fit avec
Jorn das les pays scandinaves, que Wemaëre lui fit entrevoir les possibilités
de renouvellement contenues dans les tapisseries anciennes de l'Europe du Nord.
Et depuis, leur travail commun s'est costamment développé. Leur conception
originale de la fabrication matérielle, qui tient dans la liberté créative de
l'éxécutant, a maintenant abouti à cet atelier d'un nouveau style, installé
pour le moment à Paris, rue Saint-Denis, d'ou sort "Le Long Voyage". Sous une forme
durable, et qui sent même fâcheusement le musée, il ne faut pas moins
reconnaître, dans la tapisserie, l'ancien lignage des deux structures de la
communication les plus vivantes aujourd'hui: l'art du comics et l'art di
cinéma, dans leur permanente interaction. La tapisserie, c'est le comics à
l'epreuve du temps, le travelling qui ne passe pas. Le Long Voyage est
long de quatorze métres, haut d'un métre quatre-vingt. Cette experience, venue
du Nord, y retournera: elle est en effet destinée au lycée d'Aarhus, les jours
de fête. Jorn a tenu à ce qu'elle reste masquée les autre jours, pour rompre
avec la présentation traditionnelle des art pastiques qui, en Occident, se
trouve être toujours permanente. Renouant ainsi avec une tradition viking, Le
Long Voyage sera visible comme la peinture dans le rouleau chinois, à
l'occasion. Le thème du Long
Voyage, c'est justement l'aventure viking, qui à passé partout sans souci de
revenir; c'est l'éloge de l'éxil et de la fuite en avant. C'est la fuite des
nébuleuses, dans tout le sens d'une tapisserie en expansion, comme dans ce
dessin que Jorn a vu avec Wemaëre à Bornholm au cours de ce voyage autrefois:
il n'y a pas d'orientation, pas de boussole, on part les deux sens, d'un centre
qui n'est pas autrement défini. C'est aussi une
histoire, une odyssée sans Ithaque et sans retour, la fuite des jours à tout
moment et à tous les cotés; c'est l'histoire d'un héros (Asger Jorn, bien sûr),
dans son voyage à travers la vie, comme ces navigateurs qui, ayant découvert
l'Amérique, l'ont oubliée. Et l'Amerique reparait dans Le Long Voyage, avec les
chevauchées des westerns, le déplacement de la Frontière. On y decouvre encore
les brumes du Danemark et les trompettes de Fortimbras, naturellement. Bref,
toutes les techniques du "nouveau roman" ne sauraient saisir cet
ensemble; l'Ecole di Regard ici rendrait les armes devant la complexité de
l'object regardé. Le voyage, entre les
continents ou les galaxies, ou dans les labyrinthes de la vie quotidienne, est
ce qui explique le mieux Jorn. Dans son continuum à n dimensions (celle du
temps est la plus drôle et la plus belle), Jorn apparait comme le peintre de
toute la science-fiction - U.F.O., Objects Volants Non-identifiés, 1955. Mais
contre l'esprit général de ce genre, qui est la transposition inquiète d'une
domination agréssive de classe et de race, les créatures rencontrées dans la
peinture de Jorn sont d'heureuses rencontres. Heritier de l'universalisme
révolutionnaire, Jorn est le premier à lancer le slogan fraternel:
"Monstres de tous les planètes, unissez-vous". Le long voyage n'est
pas fini. L'oeuvre de Jorn est
belle. C'eux qui n'aiment pas l'oeuvre de Jorn, se trompent. (1960) >>> TORNA ALLA PAGINA
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